Pollution de l'air : le Conseil d'Etat condamne pour la troisième fois l'Etat à verser une astreinte mais réduite à 5 millions d'euros par semestre de retard (Conseil d'Etat, 24 novembre 2023, Association Amis de la terre et autres, n°428409)
Résumé
2015 : engagement de la procédure. Par une requête enregistrée le 26 octobre 2015, l'association "Les Amis de la Terre France" a demandé au Conseil d'Etat, d'une part d'annuler le refus du Président de la République, du Premier ministre, de plusieurs ministres de respecter les prescriptions de la directive européenne du 21 mai 2008 relative à la qualité de l'air, d'autre part, d'enjoindre l'Etat a prendre toute mesure utile pour assurer le respect de cette directive.
2017 : par une décision n°394254 du 12 juillet 2017 : le Conseil d'Etat a enjoint au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en oeuvre, pour 12 zones, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par la directive européenne du 21 mai 2008 transposée dans le code de l'environnement.
2020 : par une décision n°428409 du 10 juillet 2020, le Conseil d'Etat a prononcé une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard. Plus précisément, par cette décision, le Conseil d'Etat a prononcé une astreinte à l'encontre de l'Etat s'il ne justifie pas, dans les six mois suivant la notification de cette décision, avoir exécuté la décision n° 394254 du Conseil d'Etat du 12 juillet 2017, pour 8 zones, et a fixé le montant de cette astreinte à 10 millions d'euros par semestre de retard jusqu'à la date de cette exécution.
2021 : par une décision n°428409 du 4 août 2021, le Conseil d'Etat a procédé à une première liquidation provisoire de l'astreinte prononcée, pour la période courant du 11 janvier au 11 juillet 2021 et condamné l'Etat à verser la somme de 10 millions d'euros. Le Conseil d'Etat a constaté que ses décisions du 12 juillet 2017 et 10 Juillet 2020 n'ont pas été entièrement s'agissant des dépassements de valeurs limites dans 5 zones. L'Etat a été condamné à verser une somme de 10 millions d'euros, répartie de la façon suivante : 100 000 euros à l'association Les amis de la Terre France, 3,3 millions d'euros à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), 2,5 millions d'euros au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), 2 millions d'euros à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), 1 million d'euros à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), 350 000 euros aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes chacune, et 200 000 euros aux associations Atmo Occitanie et Atmo Sud chacune.
2022 : par une décision n°428409 du 17 octobre 2022, le Conseil d'Etat a procédé à une deuxième liquidation provisoire de l'astreinte prononcé, pour la période courant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022 et condamné l'Etat à verser la somme de 20 millions d'euros. Cette somme a été répartie de la façon suivante : 50 000 euros à l'association Les amis de la Terre France, 5,95 millions d'euros à l'ADEME, 5 millions d'euros au CEREMA, 4 millions d'euros à l'ANSES, 2 millions d'euros à l'INERIS, 1 million d'euros à Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes, chacune, 500 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud, chacune.
2023 : par une décision n°428409 du 24 novembre 2023, le Conseil d'Etat a procédé à une troisième liquidation provisoire de l'astreinte prononcée, pour la période courant du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023 et condamné l'Etat à verser la somme de 5 millions d'euros pour chacun de ces deux semestres de retard, soit un total de 10 millions d'euros.
- Le Conseil d'Etat a en effet jugé que sa décision du 12 juillet 2017 a été exécutée pour ce qui concerne les dépassements des valeurs limites pour les particules fines PM 10 et, s'agissant du dioxyde d'azote, pour toutes les zones énumérées par la décision du 10 juillet 2020 à l'exception de celles de Lyon et de Paris.
- Le Conseil d'Etat a condamné l'Etat à verser la somme de 10 millions d'euros, au titre de la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée par la décision du 10 juillet 2020, pour la période du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023 (5 millions d'euros pour chacun des deux semestres de retard), à répartir de la façon suivante : 10 000 euros à l'association Les Amis de la Terre France, 3,3 millions d'euros à l'ADEME, 2,5 millions d'euros au CEREMA, 2 millions d'euros à l'ANSES, 1 million d'euros à l'INERIS, 450 000 euros à Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes, chacune, 145 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud, chacune.
Commentaire général
La décision rendue ce 24 novembre 2023 par le Conseil d'Etat appelle les premières observations suivantes.
1. Il importe de souligner que le Conseil d'Etat a été ici saisi, en 2015, d'un recours comportant, d'une part une demande d'annulation du refus opposé par le Premier ministre et de plusieurs autres ministres, de prendre toutes mesures utiles pour assurer le respect de la directive européenne du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant d'autre part, une demande d'injonction pour assurer ce respect. A la différence du contentieux "affaire du siècle" devant le tribunal administratif de paris, le Conseil d'Etat n'était pas saisi d'une demande de réparation du préjudice - moral et écologique - consécutif à une carence fautive. Il s'agit bien d'un contentieux de la légalité et non de la responsabilité de l'Etat.
2. C'est la troisième fois que le Conseil d'Etat procède à la liquidation de l'astreinte prononcée par une décision du 10 juillet 2020. Par une décision n°428409 du 4 août 2021, le Conseil d'Etat a procédé à une première liquidation provisoire de 10 millions d'euros. Par une décision n°428409 du 17 octobre 2022, le Conseil d'Etat a procédé à une deuxième liquidation provisoire de 20 millions d'euros. En tenant compte de la décision n°428409 du 24 novembre 2023, l'Etat aura donc, pour l'heure, été condamné à verser une astreinte totale de 40 millions d'euros en raison de retard dans l'exécution de la décision du 12 juillet 2017.
3. Le montant des astreintes liquidées peut apparaître important mais il doit être apprécié au regard, d'une part de l'importance qui s'attache à l'exécution de la décision du Conseil d'Etat du 12 juillet 2017 qui intéresse la qualité de l'air, laquelle est la cause de milliers de mots chaque année, d'autre part de l'affectation de cette somme. En réalité, ces sommes ont été surtout affectées au budget d'établissements publics et restent donc au crédit des finances publiques.
4. S'agissant de l'utilité de ce contentieux au regard du but poursuivi, le bilan est complexe à établir. D'une part, ce contentieux a été engagé en 2015 et il est regrettable que, huit ans plus tard, l'Etat n'ait pas encore complètement exécuté la décision du Conseil d'Etat du 12 juillet 2017 et pris toutes les mesures utiles de nature à faire enfin cesser les dépassements et risques de dépassement des valeurs limites de qualité de l'air. D'autre part et malgré ce délai, il semble toutefois que le souci constant du Conseil d'Etat de procéder à l'exécution de ses décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 ait au moins contribué à une amélioration de la situation, c'est à dire à une réduction des les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites et à l'adoption de nouvelles mesures. Il est donc possible que ce contentieux et sa médiatisation aient contribué à ce que l'Etat agisse plus fermement. Reste que certaines mesures prises - comme la création de ZFE - sont aujourd'hui contestées et pourraient donc à l'avenir être remises en cause.
- d'une part d'annuler le refus du Président de la République, du Premier ministre, de plusieurs ministres de respecter les prescriptions de la directive européenne du 21 mai 2008 relative à la qualité de l'air
- d'autre part, d'enjoindre l'Etat a prendre toute mesure utile pour assurer le respect de cette directive.
Dans le détail, cette association a demandé :
- d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le Président de la République, le Premier ministre et plusieurs ministres sur sa demande tendant à la mise en œuvre de toutes mesures utiles permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote à l'intérieur des valeurs limites fixées à l'annexe XI de la directive n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe ;
- d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par ces mêmes autorités sur sa demande tendant à l'élaboration d'un ou plusieurs plans relatifs à la qualité de l'air ayant pour objet de définir les mesures appropriées permettant de ramener, dans chacune des zones et agglomérations du territoire national concernées, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote à l'intérieur des valeurs limites fixées à l'annexe XI de cette même directive ;
- d'enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents d'ordonner, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, la révision de l'ensemble des plans de protection de l'atmosphère non conformes aux exigences fixées par les articles 13 et 23 de la même directive en tant qu'ils ne prévoient pas de ramener les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote à l'intérieur des valeurs limites aussi rapidement que possible ;
- à titre subsidiaire, d'enjoindre au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres compétents d'ordonner toute mesure utile permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote à l'intérieur des valeurs limites fixées par cette directive ;
A. Décision n°394254 du 12 juillet 2017 : le Conseil d'Etat enjoint au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en oeuvre, pour 12 zones, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites
Par une décision n°394254 du 12 juillet 2017, le Conseil d'Etat a :
- annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres compétents refusant de prendre toutes mesures utiles et d'élaborer des plans conformes à l'article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote en-deçà des valeurs limites fixées à l'annexe XI de cette directive sont annulées.
- enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en oeuvre, pour 12 zones, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
Le Conseil d'Etat a en effet constaté (point 9 de sa décision) que, pour l'année 2015 :
- les valeurs limites de concentration en dioxyde d'azote étaient encore dépassées dans douze zones (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, ZUR Champagne-Ardenne et Toulouse Midi-Pyrénées) ;
- les valeurs limites en particules fines PM10 demeuraient dépassées dans trois zones (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique) ;
Par la suite :
- Par un courrier du 20 juin 2018, le délégué à l'exécution des décisions de justice de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat a demandé au ministre chargé de l'écologie de porter à sa connaissance les mesures prises par les services de l'Etat pour assurer l'exécution de cette décision du 12 juillet 2017.
- Par des observations du 16 juillet 2018, le ministre chargé de l'écologie a précisé les mesures adoptées par l'Etat à cette fin.
- Par une requête enregistrée le 2 octobre 2018 au secrétariat de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, l'association Les amis de la Terre - France et plusieurs autres associations et particuliers ont demandé qu'une astreinte soit prononcée pour contraindre l'Etat a exécuter la décision précitée du 12 juillet 2017.
B. Décision n°428409 du 10 juillet 2020 : le Conseil d'Etat prononce une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard
Par une décision n° du 10 juillet 2020, le Conseil d'Etat a :
- prononcé une astreinte à l'encontre de l'Etat, s'il ne justifie pas avoir, dans les six mois suivant la notification de la présente décision, exécuté la décision du Conseil d'Etat du 12 juillet 2017, pour chacune des zones énumérées au point 11 des motifs de la présente décision, et jusqu'à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 10 millions d'euros par semestre, à compter de l'expiration du délai de six mois suivant la notification de la présente décision.
- ordonné au Premier ministre de communiquer à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la décision du 12 juillet 2017.
- condamné l'Etat à verser à l'association Les Amis de la Terre – France et à certains autres requérants une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les développements qui suivent sont consacrés au détail de cette importante décision.
Le constat de la carence de l'Etat à agir. Le premier élément remarquable de cette décision tient bien entendu au constat selon lequel l'Etat n'a pas exécuté la décision du 12 juillet 2017 et ce, malgré la communication de "feuilles de route" en 2018, par le ministre chargé de l'écologie. La décision précise :
"11. Il résulte de tout ce qui précède que, pour chacune des zones administratives de surveillance mentionnées au point 8 dans lesquelles les valeurs limites de concentration en NO2 et PM10 fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement demeurent dépassées, à l'exception de celle de la Vallée de l'Arve pour les raisons indiquées au point 10, les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d'établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible. Il en résulte que pour les ZAS Grenoble et Lyon, pour la région Auvergne – Rhône-Alpes, Strasbourg et Reims, pour la région Grand-Est, Marseille-Aix, pour la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Toulouse, pour la région Occitanie et Paris, pour la région Ile-de-France, s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote, et pour les ZAS Paris et Fort-de-France, s'agissant des taux de concentration en PM10, à la date de la présente décision, l'Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète de cette décision."
Ainsi, les explications fournies par l'Etat ne permettent pas de démontrer que les mesures prises permettront de ramener les niveaux de concentration en deçà des valeurs limites. Il s'agit bien d'une obligation de résultat mais à réaliser "dans le délai le plus court possible".
Dans le détail, pour le Conseil d'Etat, l'Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète de sa décision du 12 juillet 2017
- s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote : pour les ZAS Grenoble et Lyon, pour la région Auvergne - Rhône-Alpes, Strasbourg et Reims, pour la région Grand-Est, Marseille-Aix, pour la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Toulouse, pour la région Occitanie et Paris, pour la région Ile-de-France,
- s'agissant des taux de concentration en PM10, à la date de la présente décision : pour les ZAS Paris et Fort-de-France.
L'octroi d'un nouveau délai de six mois. Comme le précise l'article 1er du dispositif de la décision du 10 juillet 2020 : l'Etat dispose désormais d'un délai de six mois à compter de la notification de ladite décision pour exécuter la décision du 12 juillet 2017. Au terme de ce délai de six mois : le Premier ministre devra communiquer un rapport au Conseil d'Etat, justifiant de cette exécution.
La recevabilité de la demande d'astreinte. L'astreinte prononcée, si elle est liquidée, ne pourra pas être versée à tous les requérants. En 2015, seule l'association Les amis de la terre - France avait saisi le Conseil d'Etat. En 2018 de nombreuses autres personnes morales et physiques se sont jointes à elle. Au point 3 de l'arrêt rendu ce 10 juillet 2020, le Conseil d'Etat rappelle que seules les parties à l'instance en cause mais également les parties intéressées peuvent présenter une demande d'astreinte : "Il résulte des dispositions des articles L. 911-4 et R. 931-2 du code de justice administrative qu'ont qualité pour demander au Conseil d'Etat de prononcer une astreinte en cas d'inexécution d'une décision qu'il a rendue non seulement les parties à l'instance en cause mais également les parties directement concernées par l'acte qui a donné lieu cette instance."
Au cas d'espèce, le Conseil d'Etat écarte comme étant irrecevables toutes les demandes présentées par des associations dont l'objet social n'est pas en lien direct avec l'objet du litige et qui ne peuvent, de ce fait, être qualifiées de "parties intéressées.
Le prononcé d'une astreinte de dix millions d'euros. C'est ce chiffre qui a été mis en avant dans le communiqué de presse du Conseil d'Etat et qui a été largement repris dans les articles de presse relatifs à cette décision du 10 juillet 2020. Il s'agit d'un montant considérable qui est ainsi motivé au point 12 de l'arrêt :
"12. Par suite, eu égard au délai écoulé depuis l'intervention de la décision dont l'exécution est demandée, à l'importance qui s'attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l'Union européenne, à la gravité des conséquences du défaut partiel d'exécution en termes de santé publique et à l'urgence particulière qui en découle, il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de prononcer contre l'Etat, à défaut pour lui de justifier de cette exécution complète dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 10 millions d'euros par semestre jusqu'à la date à laquelle la décision du 12 juillet 2017 aura reçu exécution, étant rappelé que ce montant est susceptible d'être révisé à chaque échéance semestrielle à l'occasion de la liquidation de l'astreinte."
"1. Afin d'assurer l'exécution de ses décisions, la juridiction administrative peut prononcer une astreinte à l'encontre d'une personne morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public, soit dans la décision statuant au fond sur les prétentions des parties sur le fondement de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, soit ultérieurement en cas d'inexécution de la décision sur le fondement des articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code. En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive de la décision, la juridiction procède, en vertu de l'article L. 911-7 de ce code, à la liquidation de l'astreinte. En vertu du premier alinéa de l'article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider, afin d'éviter un enrichissement indu, qu'une fraction de l'astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, le second alinéa prévoyant que cette fraction est alors affectée au budget de l'État. Toutefois, l'astreinte ayant pour finalité de contraindre la personne morale de droit public ou l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice, ces dispositions ne trouvent pas à s'appliquer lorsque l'Etat est débiteur de l'astreinte en cause. Dans ce dernier cas, lorsque cela apparaît nécessaire à l'exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction peut, même d'office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, décider d'affecter cette fraction à une personne morale de droit public disposant d'une autonomie suffisante à l'égard de l'Etat et dont les missions sont en rapport avec l'objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d'intérêt général également en lien avec cet objet."
Le Conseil d'Etat a ainsi jugé :
- qu'une fraction de l'astreinte peut être versée à une personne autre que le requérant et ce, "afin d'éviter un enrichissement indû".
- que, toutefois, la portée de l'article L.911-8 du code de justice administrative diffère selon quel l'Etat est non le débiteur de l'astreinte
- lorsque l'Etat est le débiteur de l'astreinte : la fraction de l'astreinte versée à une personne autre que le requérant pourra l'être :
- soit à "une personne morale de droit public disposant d'une autonomie suffisante à l'égard de l'Etat et dont les missions sont en rapport avec l'objet du litige"
- soit à "une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d'intérêt général également en lien avec cet objet".
- d'une part, pour les ZAG Paris, Marseille-Aix, Grenoble, Lyon et Toulouse s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote,
- d'autre part, pour la ZAG Paris s'agissant des taux de concentration en PM10
Montant de l'astreinte. Pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021, l'Etat a été condamné à verser, au titre de la liquidation provisoire de l'astreinte pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021, une astreinte de 10 millions d'euros.
Répartition de l'astreinte liquidée. Le montant de l'astreinte a été ainsi réparti : la somme de 100 000 euros à l'association Les amis de la Terres France, la somme de 3,3 millions d'euros à l'ADEME, la somme de 2,5 millions d'euros au CEREMA, la somme de 2 millions d'euros à l'ANSES, la somme de 1 million d'euros à l'INERIS, la somme de 350 000 euros à Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes chacune, et la somme 200 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud chacune.
D. Décision n°428409 du 17 octobre 2022 : le Conseil d'Etat procède à une deuxième liquidation provisoire de l'astreinte prononcée le 10 juillet 2020, pour la période courant du 11 juillet 2021 à 11 juillet 2022 et condamne l'Etat à verser la somme de 20 millions d'euros
Le Conseil d'Etat a constaté :
- s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote : un dépassement de la valeur limite fixée à l'article R. 221-1 du code de l'environnement pour les ZAG Lyon, Paris, Aix-Marseille et Toulouse
- s'agissant des taux de concentration en particules fines PM 10 : la ZAG Paris ne présente plus de dépassement
Le Conseil d'Etat a procédé à une deuxième liquidation provisoire de l'astreinte prononcé, pour la période courant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022 et condamné l'Etat à verser la somme de 20 millions d'euros.
Cette somme a été répartié de la façon suivante : 50 000 euros à l'association Les amis de la Terre France, 5,95 millions d'euros à l'ADEME, 5 millions d'euros au CEREMA, 4 millions d'euros à l'ANSES, 2 millions d'euros à l'INERIS, 1 million d'euros à Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes, chacune, 500 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud, chacune.
E. Décision n°428409 du 24 novembre 2023 : le Conseil d'Etat procède à une troisième liquidation provisoire de l'astreinte prononcée pour la période courant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022 et condamne l'Etat à verser la somme de 20 millions d'euros
1. La réduction du nombre de dépassements de valeurs limites de pollution de l'air
Le Conseil d'Etat a constaté une amélioration de la qualité de l'air dans les zones de surveillance et une réduction du nombre de ces zones concernés par des dépassements de valeurs limites :
- s'agissant des concentrations en particules fines PM10 : aucun dépassement n'a été constaté en 2022 dans la zone de Paris. La décision rendue ce 24 novembre précise : "Compte tenu de ces différents éléments, et alors que la situation d'absence de dépassement dans la ZAG Paris peut désormais être considérée comme consolidée, la décision du 12 juillet 2017 doit être regardée comme étant exécutée s'agissant du respect des taux de concentration en particules fines."
- S'agissant des concentrations en dioxyde d'azote : un risque de dépassement persiste dans une zone (Marseille-Aix) et des dépassement ont été constatés pour deux zones (Lyon et Paris). La décision rendue ce 24 novembre précise : "9. Dans ces conditions, s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote, la décision du 12 juillet 2017 ne peut être regardée comme étant désormais exécutée que pour la seule ZAG Toulouse. La situation à Marseille-Aix ne peut, en raison de la persistance d'une valeur très proche de la valeur limite, être considérée comme suffisamment consolidée et les ZAG Lyon et Paris connaissent encore des dépassements significatifs pour ce polluant."
2. La réduction du montant de l'astreinte par semestre de retard
Le montant de l'astreinte par semestre de retard dans l'exécution des décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 peut bien entendu être modulé. Au cas présent, comparativement à ses décisions du 4 août 2021 et 17 octobre 2022, le Conseil d'Etat a réduit de moitié le montant de l'astreinte liquidée par semestre de retard, de 10 à 5 millions d'euros. Et, ce pour deux motifs.
La réduction du nombre des dépassements de valeurs limites de qualité de l'air. En premier lieu, la réduction du montant de l'astreinte est ainsi justifiée par le Conseil d'Etat : "16. La décision du Conseil d'Etat du 10 juillet 2020 ayant prononcé une astreinte à l'encontre de l'Etat s'il ne justifie pas avoir, dans les six mois suivant la notification de cette décision, pleinement exécuté la décision du 12 juillet 2017 et fixé le taux de cette astreinte à 10 millions d'euros par semestre de retard, a été notifiée aux parties le jour même. Eu égard, dans un sens, à la durée qui ne cesse de s'accroître de la période de dépassement des valeurs limites dans les deux zones qui demeurent concernées, et tout particulièrement en région parisienne, mais en prenant aussi en compte, dans l'autre sens, les améliorations constatées depuis l'intervention des décisions antérieures, et notamment la réduction du nombre des zones concernées par les dépassements et la baisse globale tant du nombre des stations de mesure constatant des dépassements que de l'importance de ces dépassements pour les zones qui demeurent en dépassement, il y a lieu de modérer le taux de l'astreinte en le diminuant de moitié, au vu de ces différentes considérations, pour la période courant du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023."
Il est intéressant de relever les expressions "dans un sens" et "dans l'autre sens". En effet "dans un sens" le délai qui sépare la décision rendue aujourd'hui de la décision rendue le 12 juillet 2017 ne cesse de s'allonger et ce retard pris dans l'exécution devient toujours plus inacceptable. Dans l'autre sens, le Conseil d'Etat entend aussi tenir compte des progrès enregistrés. Nous formulons aussi l'hypothèse que
L'adoption de mesures de nature à ramener, dans le délai le plus court possible, les taux de concentration pour ce polluant, en deça des valeurs limites. En deuxième lieu, parmi les mesures adoptées, le Conseil d'Etat souligne à plusieurs reprises l'intérêt s'attachant à la création de zones à faibles émissions mobiité (ZFE-m) :
- S'agissant de la ZAG Marseille-Aix : "une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), c'est-à-dire une zone fixant des mesures de restriction de circulation et déterminant les catégories de véhicules concernés par ces restrictions, couvrant le centre-ville élargi de Marseille a été instaurée le 1er septembre 2022 et l'interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit'Air 4 est effective sur la zone couverte par la ZFE-m depuis septembre 2023, celle des véhicules comportant une vignette Crit'Air 3 étant prévue à compter de septembre 2024. Ces différentes mesures apparaissent comme suffisamment précises et détaillées pour envisager que le respect des valeurs limites de concentration en dioxyde d'azote, déjà constaté dans cette zone en 2022, se poursuivra. Elles peuvent ainsi être regardées comme assurant, pour la zone qu'elles concernent, une correcte exécution de la décision du Conseil d'Etat du 12 juillet 2017." (nous soulignons)
- S'agissant de la ZAG Lyon, le Conseil d'Etat souligne que l'Etat a notamment fait état "de nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE-m de la Métropole de Lyon, avec l'interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit'Air 4 à compter du 1er janvier 2024, et celle des véhicules comportant une vignette Crit'Air 3 à compter du 1er janvier 2025. Il a, par ailleurs, été décidé par la Métropole du Grand Lyon que la ZFE-m serait étendue à compter du 1er janvier 2024 aux voies rapides, incluant ainsi la station pour laquelle persiste un dépassement" (nous soulignons). Toutefois, le Conseil d'Etat demeure prudent quant à l'efficacité de ces mesures, notamment pour le taux de concentration en dioxyde d'azote : "Si ces mesures sont susceptibles de permettre de ramener le niveau de concentration en dioxyde d'azote en dessous de la valeur limite pour l'ensemble des stations de mesure à Lyon, la situation ne peut, en l'état, en raison du dépassement encore significatif constaté en 2022, être regardée comme garantissant que les valeurs limites pour le dioxyde d'azote seront effectivement respectées à Lyon dans le délai le plus court possible."
3. Répartition du montant de l'astreinte
Le montant de l'astreinte a été liquidé ainsi : l'Etat devra verser, au titre de la liquidation provisoire de l'astreinte pour les deux semestres de la période du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023 : la somme de 10 000 euros à l'association Les Amis de la Terre France, la somme de 3,3 millions d'euros à l'ADEME, la somme de 2,5 millions d'euros au CEREMA, la somme de 2 millions d'euros à l'ANSES, la somme de 1 million d'euros à l'INERIS, la somme de 450 000 euros à Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes, chacune, la somme de 145 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud, chacun.
Arnaud Gossement
avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne
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