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Energies renouvelables : le Gouvernement impose le déplafonnement total du reversement de la prime négative, à compter du 1er janvier 2022, par les producteurs signataires d'un contrat de complément de rémunération (projet de loi de finances pour 2024)

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Ce 7 novembre 2023, lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi de finances pour 2024, les députés ont adopté un amendement déposé par le Gouvernement pour autoriser ce dernier à récupérer "le jackpot des énergies renouvelables". Cet amendement prévoit qu'à compter du 1er janvier 2022 inclus, les contrats offrant un complément de rémunération signés par les producteurs d'énergies renouvelables sont modifiés ainsi : lorsque pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite. Le déplafonnement du reversement du montant de la prime négative est donc total. Un amendement qui tire les conséquences de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de cette mesure dans son principe. Commentaire.

Résumé

1. Les producteurs d'énergies renouvelables peuvent, à certaines conditions, bénéficier d'un contrat offrant une complément de rémunération. Au titre de ces contrats, lorsque les prix de vente d'électricité sur le marché, les producteurs peuvent percevoir un soutien public (prime). Lorsque ce prix est haut, les producteurs peuvent être tenus de reverser une part du "profit" réalisé (prime négative) jusqu'à un plafond. 

2. Dans un contexte de hausse du prix de vente d'électricité, l'Etat, aux termes de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, a décidé qu'à compter du 1er janvier 2022, le reversement n'est plus calculé dans la limite d'un plafond mais en fonction d'un prix seuil, qui est déterminé, chaque année jusqu'à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget.

3. Par un arrêté du 28 décembre 2022 le Gouvernement a fixé le prix seuil, en application de l'article 38 de la loi n°2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022. Cet arrêté a fait l'objet d'un recours de la part de représentants des professionnels des énergies renouvelables. Ce recours était assorti d'une question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise par le Conseil d'Etat au Conseil constitutionnel. 

4. Par une décision n°2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 du Conseil constitutionnel a confirmé le droit pour l'Etat de percervoir,  y compris rétroactivement, les sommes excédant une "rémunération raisonnable des capitaux investis par les producteurs. Il a toutefois déclaré contraire à la Constitution l'article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022 pour un motif de forme. Le Gouvernement a donc été invité à revoir sa copie. 

5. Tirant les conséquences de cette décision du Conseil constitutionnel, le Gouvernement a déposé et fait adopté Le 7 novembre 2023, les députés ont adopté en première lecture le projet de loi de finances pour 2024 un amendement qui prévoit un déplafonnement total du reversement de la prime négative. NB :cette mesure doit encore être confirmée et adoptée définitivement.

6. L'amendement est ainsi rédigé : "À compter du 1er janvier 2022 inclus, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés : lorsque, pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite."

I. L'historique de la mesure

Le plafonnement initial du reversement de la prime négative versé par les producteurs signataires d'un contrat de complément de rémunération. Les exploitants de certaines installations de production d'électricité à partir d'énergie renouvelable peuvent bénéficier, à certaines conditions d'un contrat offrant un complément de rémunération (articles L.311-12 et L.314-18 du code de l'énergie) conclu avec un acteur obligé.

Les dispositions réglementaires prises pour l'application de ces dispositions prévoient : 
  • soit le versement par EDF d'une prime aux producteurs lorsque le prix du marché auquel ils vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté. 
  • soit, à l'inverse, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, le reversement à EDF par les producteurs du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, sous la forme d'une prime négative. 

Dans le cas où le producteur était tenu de verser une prime négative à EDF, l'article R. 314-49 du code de l'énergie, dans sa rédaction initiale, prévoyait un plafonnement du reversement de cette prime négative à hauteur du montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération. 

En d'autres termes, le producteur signataire d'un contrat offrant un complément de rémunération, lorsqu'il vendait de l'électricité au-delà d'un certain tarif de référence, était tenu de reverser les sommes perçues jusqu'à un plafond. Au-delà de ce plafond, il avait le droit de conserver les sommes provenant de la vente d'électricité. 

Le déplafonnement partiel du reversement de la prime en 2022. En 2022, dans un contexte d'augmentation des prix de vente de l'électricité, le Gouvernement a souhaité "déplafonner" le versement de la prime négative versée aux producteurs d'électricité renouvelable. Son projet était donc d'obliger rétroactivement les producteurs à reverser toute somme perçue au delà d'un tarif de référence. 

Aux termes de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, à compter du 1er janvier 2022, le reversement n'est plus calculé dans la limite d'un plafond mais en fonction d'un prix seuil, qui est déterminé, chaque année jusqu'à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget. Le déplafonnement du reversement de la prime négative était donc partiel ou conditionné en fonction de ce prix seuil. 

Par un arrêté du 28 décembre 2022 le Gouvernement a fixé le prix seuil, en application de l'article 38 de la loi n°2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022. Cet arrêté a fait l'objet d'un recours de la part de représentants des professionnels des énergies renouvelables.

La confirmation par le Conseil constitutionnel de la régularité du principe du déplafonnement. Par une décision n°471674 en date du 26 juillet 2023, le Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 38 de la loi du 16 août 2022.

Par une décision n°2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 du Conseil constitutionnel a :
  • sur le fond, confirmé le droit pour l'Etat de procéder à un déplafonnement du reversement des sommes excédant "une rémunération raisonnable des capitaux investis par les producteurs"  : "En adoptant les dispositions contestées, dans un contexte de forte hausse des prix de l'électricité, le législateur a ainsi entendu corriger les effets d'aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d'atténuer l'effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général."
  • sur la forme, critiqué le choix du législateur de renvoyer à un arrêté ministériel le soin de fixer le prix seuil à partir duquel était calculé ce reversement. (cf. notre commentaire)

Aussi, si le Conseil constitutionnel a formellement déclaré l'article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022 contraire à la Constitution, il a en réalité ouvert la possibilité pour le Gouvernement de reprendre la même mesure sans renvoi à un arrêté ministériel. Le Gouvernement a donc tiré les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel en plaçant l'intégralité du dispositif dans la loi, sans renvoi à un arrêté.

II. Le contenu de la mesure adoptée dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2024

Le contenu de la mesure : le déplafonnement du reversement de la prime négative sans recours à un prix seuil. L'amendement adopté par le députés en première lecture du projet de loi de finances pour 2024 (adopté par application de l'article 49 alinéa 3 prévoit la création d'un nouvel article, à la suite  de l'article 52 de ce texte (devenu article 52 sexies (nouveau)), ainsi rédigé :

"Le présent article s'applique à tous les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311‑12 et L. 314‑18 du code de l'énergie qui prévoient une limite supérieure aux sommes dont le producteur est redevable lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative.

À compter du 1er janvier 2022 inclus, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés : lorsque, pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite."

Les motifs de cette mesure. L'exposé des motifs de cet amendement confirme la décision du Gouvernement de procéder à un "déplafonnement total" du reversement des "gains" : 

"Cet amendement a donc pour objectif de mettre en conformité le dispositif avec les exigences constitutionnelles d'une part, et conventionnelles d'autre part, en supprimant la notion de prix seuil, et en proposant un déplafonnement total des aides, puisque les gains potentiels liés au titre du plafonnement des contrats dans une situation de prix de marché durablement élevé conduiraient à une rémunération excessive."

L'exposé des motifs fait également état du souci du Gouvernement de "corriger les effets d'aubaine" :

"Cette disposition répond à un motif d'intérêt général, visant à corriger les effets d'aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, le Conseil constitutionnel ayant confirmé que ces dispositions ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues. Cet amendement permet que soit garantie aux producteurs, quelle que soit l'évolution des prix du marché, une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu'à l'échéance de leur contrat."

En conclusion, cette mesure est, à notre sens, certainement regrettable. Certes, d'un point de vue juridique, le Gouvernement a été encouragé à définir un mécanisme de déplafonnement total dés lors que le Conseil constitutionnel a invalidé le premier dispositif de déplafonnement à partir d'un prix seuil mais confirmé, dans son principe, le droit pour l'Etat de procéder à ce déplafonnement. Toutefois, cette nouvelle mesure de limitation de la rémunération des capitaux investis créé un nouveau risque pour le développement des énergies renouvelables. Il convient en effet de rappeler que ce n'est pas la première fois que l'Etat entend limiter cette rémunération (cf. notre commentaire relatif à la révision des tarifs d'achat). Surtout, la décision de modifier unilatéralement et rétroactivement les termes des contrats d'obligation d'achat remet en cause la confiance que les producteurs et investisseurs peuvent ou non témoigner aux engagements de l'Etat. Cette incertitude peut être préjudiciable pour le développement des énergies renouvelables, lequel accuse un retard certain. Lequel retard a aussi un coût qui ne semble pas avoir été appréhendé.

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne

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