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Déchets d'emballages : rejet du recours en annulation de l'arrêté du 15 mars 2022 modifiant le cahier des charges de la filière REP des emballages ménagers (Conseil d'Etat, 28 mars 2024, n°464058)

Conseil-dEtat-Fotolia

Par une décision n°464058 du 28 mars 2024, le Conseil d'Etat a rejeté le recours par lequel plusieurs syndicats et fédérations professionnels ont demandé l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2022 modifiant l'arrêté du 29 novembre 2016 portant cahier des charges de la filière REP des emballages ménagers. Cette décision comporte des précisions intéressant le droit de la responsabilité élargie du producteur et son articulation avec le droit de la concurrence. Commentaire.

I. Rappel des faits et de la procédure

Dans le cadre de la filière REP des emballages ménagers, le cahier des charges d'agrément annexé à l'arrêté du 29 novembre 2016 - modifié par un arrêté du 4 janvier 2019 - définit notamment les modalités techniques et financières de prise en charge des déchets d'emballages. 

Il propose aux collectivités territoriales compétentes en matière de gestion de déchets, plusieurs options de reprise des déchets d'emballages en vue de leur traitement, à l'issue de leur collecte dans le cadre du service public de gestion des déchets :
  • L'option "reprise individuelle" : les collectivités territoriales font le choix de l'opérateur de gestion des déchets auquel elles confient la reprise de ces déchets ;
  • L'option "reprise fédérations" : les collectivités remettent leurs déchets à un repreneur qui est par ailleurs adhérant d'une des fédérations professionnelles de repreneurs ;
  • L'option de "reprise filière" : les éco-organismes proposent aux collectivités de confier la reprise des déchets à un repreneur sélectionné par l'éco-organisme ;
  • L'option "reprise directe par l'éco-organisme" : mise en œuvre depuis 2019 pour les déchets relevant uniquement du "standard développement". Les éco-organismes proposent de rependre eux-mêmes en toute circonstance et à leurs frais ces déchets, dont ils confient la gestion à un repreneur qu'ils sélectionnent après une procédure de mise en concurrence.

En l'espèce, les requérants reprochaient notamment à l'arrêté du 15 mars 2022 entrepris d'imposer la reprise directe "sans frais et en toute circonstance" par les éco-organismes des déchets d'emballages en plastique relevant des standards suivants :

  • de déchets dit "flux développement"
  • du modèle de tri simplifié plastique
  • du modèle transitoire de tri des plastiques

II. Sur la solution

Parmi les moyens soulevés par les requérants, la présente analyse se concentre principalement sur celui tiré de l'absence de saisine pour avis de l'Autorité de la concurrence et celui de la méconnaissance des principe de la liberté d'entreprendre des opérateurs de la gestion des déchets et de la "libre concurrence".

A. Sur le défaut de la consultation préalable de l'Autorité de la concurrence

Les requérants ont soutenu que l'arrêté attaqué serait illégal dès l'instant où il n'avait pas été précédé de la consultation préalable de l'Autorité de la concurrence, conformément aux dispositions de l'article L. 462-2 du code de commerce.

Pour mémoire, l'article L. 462-2 du code précité précise que l'Autorité de la concurrence est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur "tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente."

Le moyen tiré du défaut de consultation de l'Autorité de la concurrence est écarté par le Conseil d'Etat. Il a relevé sur ce point qu'en imposant la reprise par l'éco-organisme des déchets d'emballages plastiques visés ci-dessus, l'arrêté attaqué ne crée pas "de droits exclusifs en faveur de l'éco-organisme Citéo". Pour écarter le moyen, l'arrêt précise, en outre, que les dispositions litigieuses n'imposent par elles-mêmes aucune pratique uniforme en matière de prix ou de conditions de vente.

L'arrêt précise sur ce point que :

"8. Les dispositions attaquées, qui ne soumettent pas le marché de la reprise des déchets d'emballages ménagers à des restrictions quantitatives, n'ont pas pour effet, en confiant aux éco-organismes la reprise directe des déchets d'emballages ménagers relevant du standard " flux développement " ainsi que des standards du modèle de tri simplifié plastique et du modèle transitoire de tri des plastiques, de créer des droits exclusifs en faveur de l'éco-organisme agréé Citéo. Elles ne sont pas davantage susceptibles, par elles-mêmes, d'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente. Par suite, ces dispositions ne sauraient relever du champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 462-2 du code de commerce. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait dû, en application de ces dispositions, être précédé de la consultation de l'Autorité de la concurrence ne peut qu'être écarté. »

Par un avis du n°22-A-05 du 16 juin 2022, rendu à la suite d'une saisine sur le fondement de l'article L. 462-2 du code précité à propos d'un projet d'arrêté modifiant le cahier des charges de cette filière REP afin d'y introduire un mécanisme d'équilibrage, l'Autorité de la concurrence a relevé, sur ce point, qu'elle n'avait effectivement pas été « formellement » saisie pour avis sur l'arrêté du 15 mars 2022 :

"Si l'Autorité n'a pas été formellement saisie de l'arrêté du 15 mars 2022 qui confère aux éco-organismes une exclusivité pour l'organisation de la reprise et du recyclage de certains flux de déchets d'emballages ménagers plastiques, le mécanisme d'équilibrage prévu dans le projet d'arrêté, en découle directement" (cf. avis, point 58).

Il ressort de cet avis que si l'Autorité de la concurrence n'écarte pas explicitement le fait que l'arrêté du 15 mars 2022 aurait dû être précédé de sa saisine en application de l'article L. 462-2, la circonstance qu'elle n'a pas été saisie n'emporte aucune conséquence dès l'instant où son avis est sollicité dans le cadre du projet d'arrêté, dont le mécanisme d'équilibrage qu'il prévoit d'introduire découle directement de l'arrêté du 15 mars 2022.

Il est d'ailleurs intéressant de relever que selon l'Autorité de la concurrence, les dispositions de l'arrêté du 15 mars 2022 confèrent aux éco-organismes "une exclusivité pour l'organisation de la reprise et du recyclage de certains flux d'emballages ménagers plastiques".

B. Sur la violation de la liberté d'entreprendre et de la libre concurrence

Les requérants ont, en outre, fait valoir qu'en imposant aux collectivités territoriales l'option de la "reprise directe" par les éco-organismes pour les flux spécifiques visés par l'arrêté du 15 mars 2022, les dispositions litigieuses de cet arrêté méconnaissent les principes de la liberté d'entreprendre des "opérateurs sur ce marché" et celui de la libre concurrence ainsi que les articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Le moyen est, là aussi, écarté par la Haute juridiction administrative aux termes d'un raisonnement sur lequel il convient de revenir.

Le Conseil d'Etat a considéré qu'en confiant aux éco-organismes une exclusivité pour la reprise des déchets d'emballages plastiques relevant de flux spécifiques, les dispositions de l'arrêté n'ont "ni pour objet ni pour effet de le mettre en concurrence avec les opérateurs du marché du recyclage et de la valorisation des déchets concernés". 

Pour le Conseil d'Etat, ces dispositions visent « seulement » à transférer aux éco-organismes la responsabilité de détenteur de ces déchets. L'arrêt retient en effet que :

"15. En quatrième lieu, d'une part, les dispositions introduites par l'arrêté attaqué, en vertu desquelles l'éco-organisme agréé reprend lui-même, à titre temporaire, certains flux de déchets d'emballages ménagers, n'ont ni pour objet ni pour effet de le mettre en concurrence avec les opérateurs du marché du recyclage et de la valorisation des déchets concernés, mais visent seulement à lui transférer la responsabilité de détenteur de ces déchets, qualité au titre de laquelle il lui appartient, conformément aux dispositions de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, d'en faire assurer le traitement en faisant appel aux opérateurs qu'il sélectionne pour leur " sur-tri ", opération complémentaire au tri initial, et leur valorisation, au terme d'une procédure d'appel d'offres concurrentielle, transparente et non discriminatoire, conformément aux dispositions de l'article L. 541-10-6 du code de l'environnement. D'autre part, il ne saurait être soutenu que l'arrêté litigieux favorise les procédés de recyclage par voie chimique, dès lors que les éco-organismes sont seulement tenus de tenir compte de la performance environnementale des méthodes de recyclage lorsqu'ils sélectionnent les candidats à la passation des marchés nécessaires à la reprise, au recyclage ou au traitement des flux concernés en application de ces dispositions. Dès lors que l'éco-organisme n'intervient pas en tant qu'opérateur sur le marché du recyclage et de la valorisation de ces déchets, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de la liberté d'entreprendre des opérateurs sur ce marché et le principe de libre concurrence ne peuvent qu'être écartés, comme ceux tirés de la méconnaissance des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne."

Il est intéressant de relever que dans l'avis du 16 juin 2022 précité rendu à propos du projet d'arrêté introduisant, dans le prolongement de l'arrêté du 15 mars 2022, un mécanisme d'équilibrage au sein du cahier des charges de la filière REP des emballages, l'Autorité de la concurrence a, sur ce point, rendu un avis plus nuancé.

Elle a notamment relevé que l'exclusivité ainsi conférée aux éco-organismes par les dispositions litigieuses de l'arrêté attaqué du 15 mars 2022 "est susceptible de restreindre la concurrence entre les opérateurs de la reprise, de limiter le choix des collectivités territoriales dans leurs options de reprise et de priver ces dernières du profit généré par la commercialisation de ces déchets." (cf. avis, point 60).

Ainsi, selon l'Autorité de la concurrence, une telle exclusivité ne se borne donc pas à « transférer aux éco-organismes la responsabilité de détenteur de ces déchets » comme l'a jugé le Conseil d'Etat, mais implique de procéder à une analyse de la conformité de cette disposition au droit de la concurrence.

Compte tenu du risque de restriction de concurrence découlant des dispositions de l'arrêté du 15 mars 2022 – il est d'ailleurs intéressant de relever que l'Autorité de la concurrence procède à une analyse concurrentielle des dispositions de cet arrêté, alors que la demande d'avis portait uniquement sur le projet d'arrêté introduisant un mécanisme d'équilibrage, ce qui tend à confirmer qu'une saisine de celle-ci aurait dû intervenir préalablement à la publication de l'arrêté du 15 mars 2022 -, l'Autorité examine si ces dernières sont justifiées par un intérêt général et apparaissent nécessaires et proportionnées à l'objectif ainsi poursuivi.

D'une part, l'Autorité a considéré que l'exclusivité conférée aux éco-organismes poursuit un objectif d'intérêt général consistant à créer dans les meilleurs délais possibles une "filière industrielle du recyclage portant sur l'ensemble des déchets d'emballages ménagers plastiques et, en particulier, sur des déchets non encore valorisables" (cf. avis, point 63).

D'autre part, selon l'Autorité, la mesure est également directement nécessaire à l'atteinte de cet objectif, compte tenu de l'"important pouvoir de structuration des investissements" détenu par les éco-organismes. L'avis précise sur ce point que l'intervention des éco-organismes dans le cadre de cette structuration à court et moyen terme lui paraît dès lors indispensable.

C'est sur le caractère strictement proportionné de la mesure que l'avis de l'Autorité de la concurrence est, enfin, le plus réservé. Si celle-ci considère que la mesure est proportionnée à l'objectif poursuivi, ce n'est qu'à la condition d'être temporaire, l'exclusivité conférée aux éco-organismes ne devant pas "être prolongée de manière excessive, au-delà de ce qui est nécessaire pour la structuration des activités de la reprise et du recyclage". En l'occurrence et sur ce point, il ressort explicitement de l'avis du 16 juin 2022 que l'exclusivité conférée aux éco-organismes n'est pas limitée dans sa durée, "l'arrêté du 15 mars 2022 prévoyant seulement que l'exclusivité doit permettre d'améliorer le recyclage de ces flux de déchets, et fixant un objectif de recyclage des déchets correspondant au standard "flux développement" et au modèle de tri à "deux standards plastiques » de 90 % d'ici à 2025".

C'est la raison pour laquelle l'Autorité de la concurrence a notamment recommandé, aux termes de son avis du 16 juin 2022, de compléter le projet d'arrêté afin d'y insérer une disposition qui prévoit que l'exclusivité ne puisse être pérennisée au-delà de la fin de la période d'agrément, soit 2029.

Il est donc étonnant de relever qu'aux termes de sa décision, le Conseil d'Etat fait référence au caractère "temporaire" des dispositions litigieuses de l'arrêté du 15 mars 2022, dès l'instant où, selon l'Autorité de la concurrence dans son avis du 16 juin 2022, la mesure prévue par l'arrêté n'est assortie d'aucune limitation dans la durée.

Emma Babin - avocate associée

cabinet Gossement Avocats

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