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Contentieux : faut-il renforcer le pouvoir du juge des référés de suspendre en urgence des travaux créant un risque pour l'environnement ? (proposition de loi visant à adapter la procédure des référés aux enjeux environnementaux)

Assemble-nationale-Adobe

Le débat sur le pouvoir du juge des référés de suspendre les travaux de construction de projets contestés - routes, retenues collinaires, retenues de substitution, centres commerciaux... - est régulièrement relancé par les opposants, notamment les associations de protection de l'environnement. Deux députées, Madame Naïma Moutchou (groupe Horizons) et Madame Cécile Untermaier (groupe Socialistes) ont déposé, ce 5 décembre 2023, une proposition de loi visant à adapter la procédure des référés aux enjeux environnementaux. Une proposition de loi déposée à la suite de leur rapport remis en 2021 et qui tente un équilibre délicat entre la prévention des risques environnementaux par le juge des référés et une garantie du principe de sécurité juridique. Analyse.

Résumé

1. En 2021, lors de la discussion de la future loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, Mmes Moutchou et Untermaier, députées, avaient mené une "mission flash" consacrée aux procédures de référé en matière environnementale. 

2. Ce 5 décembre 2023, ces députées ont déposé une proposition de loi comportant plusieurs mesures de réforme de ces procédures. Le texte comporte les mesures suivantes  :

a) réforme de la procédure de référé-suspension devant le juge administratif fondée sur l'article L.521-1 du code de justice administrative (articles 1 et 2 de la proposition de loi)

- Assouplissement de la preuve de la condition d'urgence par le requérant.

- Possibilité de suspension, par le juge des référés, de l'exécution de la décision entreprise, dés réception de la requête. 

- Possibilité de suspension, par le juge des référés, de l'exécution d'une décision prise à la suite d'une étude d'impact insuffisante. 

b) réforme de la procédure de référé-liberté devant le juge administratif fondée sur l'article L.521-2 du code de justice administrative (article 1er de la proposition de loi)

c) réforme du champ d'application de la procédure du référé pénal environnemental devant le juge des libertés et de la détention, fondée sur l'article L.216-13 du code de l'environnement (article 2 de la proposition de loi).  

- l'article 2 de la proposition de loi prévoit d'élargir le champ d'application de cette procédure à l'ensemble des délits à caractère environnemental, tels qu'ils ont été délimités par le champ de compétence des nouveaux pôles juridictionnels environnementaux institués par l'article 15 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée

Commentaire général

Les députées Naîma Moutchou et Cécile Untermaier ont le mérite de s'attacher à un sujet important : la possibilité pour des associations de protection de l'environnement d'obtenir rapidement du juge des référés la suspension de travaux créateurs de risques pour la protection de l'environnement. 

Le débat sur cet accès au juges des référés est régulièrement relancé à l'occasion de mouvements d'opposition et de contestation de projets de création d'infrastructures : routes, retenues, barrages, centres commerciaux etc.. Cela a été particulièrement le cas à propos du projet de création du barrage de Sivens, endeuillé par la mort d'un jeune manifestant. Le juge administratif avait alors annulé la déclaration d'utilité publique de ce projet mais après un rejet de la requête en référé.  

Faut-il alors permettre aux opposants d'obtenir la suspension immédiate de tels travaux dés le dépôt d'une requête en référé-suspension ? La réponse est éminemment complexe. Car les mouvements de contestation sont parfois dirigés contre des projets qui peuvent aussi être considérés comme contribuant à la protection de l'environnement à l'image des installations de production d'énergies renouvelables. Prévoir la suspension immédiate des travaux revient à revenir sur le privilège du préalable et à priver, tant l'administration que le bénéficiaire de l'autorisation litigieuse de toute possibilité de s'exprimer et de faire valoir leurs observations en défense du projet. Enfin, il n'est pas nécessairement pertinent que le débat public sur l'utilité publique des projets de travaux se déporte encore davantage de l'espace public, en amont de l'autorisation, vers le prétoire du juge des référés, en aval. 

Enfin et surtout, ce débat concernait surtout la procédure de référé-suspension. Ce débat est peut être dépassé depuis que le juge des référé-liberté du Conseil d'Etat, par une ordonnance en date du 20 septembre 2022 a jugé que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que consacré à l'article 1er de la Charte de l'environnement présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L.521-2 du code de justice administrative relatif à la procédure du référé-liberté. Ainsi, depuis cette ordonnance, toute personne ayant intérêt à agir peut demander à ce que le juge des référés intervienne en 48 heures pour, éventuellement, suspendre des travaux susceptibles de créer un risque pour la protection de l'environnement. 

Au demeurant, Mmes Moutchou et Untermaier ne proposent pas de créer ce mécanisme de suspension immédiate dans la loi.

A notre sens, il n'est pas certain que l'urgence soit de modifier la rédaction des textes qui organisent les procédures de référé. A notre sens, l'urgence est d'abord de donner les moyens au juge des référés - trop souvent un juge unique - et aux parties de traiter correctement la question de la suspension en référé de travaux litigieux.

La proposition de loi de Mmes Moutchou et Untermaier a le mérite de relancer un débat important sur l'efficacité des procédures de référé à l'heure où la protection de l'environnement est enfin devenu un enjeu fondamental. Leur proposition de loi, très prudente, comporte cependant des mesures de portée très limitée. 

Commentaire détaillé

I. La genèse de la proposition de loi

Pour mémoire, en 2021, Mmes Moutchou et Untermaier avaient mené une "mission flash" consacrée aux procédures de référé en matière environnementale. Leur rapport comportait les propositions suivantes : 
  • Proposition n° 1 : Intégrer la qualité du contenu des études d'impact au champ du référé-étude d'impact prévu par l'article L. 122-2 du code de l'environnement.
  • Proposition n° 2 : Faciliter la suspension d'une décision administrative via la procédure du référé-enquête publique prévu par l'article L. 123-16 du code de l'environnement.
  • Proposition n° 3 : Élargir le champ d'application du référé pénal spécial prévu par l'article L. 216-13 du code de l'environnement à l'ensemble des atteintes à l'environnement.
  • Proposition n° 4 : Envisager de modifier la procédure du référé pénal spécial prévu par l'article L. 216-13 du code de l'environnement afin de mieux l'intégrer dans l'architecture judiciaire en élargissant les possibilités de saisine et en intégrant les nouveaux pôles judiciaires spécialisés en matière d'environnement.
  • Proposition n° 5 : Prévoir un assouplissement de la condition d'urgence pour la procédure de référé-suspension prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, qui est sans doute la plus usitée dans le domaine environnemental.
  • Proposition n° 6 : Intégrer dans le référé-conservatoire prévu par l'article 835 du code de procédure civile la prévention des dommages irréversibles.
  • Proposition n° 7 : Dans le cadre du référé-suspension, envisager une procédure spécifique permettant une action plus rapide du juge en cas de dommage ou de risque de dommage particulièrement grave ou irréversible à l'environnement.
  • Proposition n° 8 : Intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l'environnement dans le champ du référé-liberté prévu par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
  • Proposition n° 9 : Engager une réflexion sur la formation et la spécialisation des magistrats dans le domaine du droit de l'environnement.

A la suite de cette mission flash ces deux députées et plusieurs autres ont déposé, sur le projet de loi "climat et résilience", plusieurs amendements tendant à réformer les procédures de référé pour les adapter aux enjeux environnementaux. 

II. Le contenu de la proposition de loi

La proposition de loi ici commentée prévoit de réformer les procédures de référé suivantes. 

- la procédure de référé-suspension devant le juge administratif (article 1er et 2)

- la procédure de référé-liberté devant le juge administratif (article 1er) 

- la procédure du référé pénal environnemental devant le juge des libertés et de la détention (article 2)

- la procédure du référé conservatoire devant le juge civil (article 3).

A. La proposition de réforme de la procédure de référé-suspension devant le juge administratif (articles 1 et 2)

1. Le cadre juridique actuel 

Pour mémoire, l'auteur d'un recours au fond devant le juge administratif tendant à l'annulation d'une décision administrative (permis de construire, autorisation environnementale etc..) peut également déposer une requête en référé tendant à la suspension de l'exécution de cette décision dans l'attente du jugement sur le recours au fond.

Cette procédure de référé-suspension est organisée à l'article L521-1 du code de justice administrative :

"Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision."

Aux termes de ces dispositions, pour que le juge du référé-suspension puisse accueillir favorablement une demande de suspension, deux conditions doivent être remplies par l'auteur de la requête :

  • la demande doit présenter un caractère d'urgence :
  • la demande doit comporter un moyen (argument) de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision entreprise, en l'état de l'instruction.

Aux termes de l'article L.122-2 du code de l'environnement, lorsque la demande de suspension en référé démontre qu'une autorisation a été délivrée alors que l'étude d'impact requise n'a pas été jointe au dossier de demande, le juge des référés y fait droit :

"Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d'approbation d'un projet visé au second alinéa de l'article L. 122-1 est fondée sur l'absence d'étude d'impact, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée."

Il est important de préciser que, pour l'heure, ni le dépôt d'une requête en annulation (au fond), ni le dépôt, à sa suite, d'une requête en référé-suspension n'ont pour effet - automatique et dés l'enregistrement de la requête - de suspendre l'exécution de la décision administrative litigieuse. Seule l'ordonnance rendue par le juge du référé-suspension pourra, éventuellement, suspendre cette exécution à la suite d'une procédure d'instruction courte et d'une audience de référé.

2. La proposition de loi 

La proposition de réforme de la preuve de la condition d'urgence (article  L'article 1er de la proposition de loi prévoit de compléter le premier alinéa de l'article L.512-1 du code de justice administrative par une phrase ainsi rédigée : "En matière environnementale, l'urgence peut résulter du caractère manifestement grave ou durable du dommage ou du risque de dommage."

A notre sens, il n'est pas certain que cette phrase ait pour effet de réellement simplifier la tâche de l'auteur d'une requête en référé-suspension lorsqu'il lui est nécessaire de démontrer l'urgence à suspendre une décision administrative en raison de son incidence environnementale. Au cas présent, cette phrase contraindra le requérant à démontrer le "caractère manifestement grave ou durable" du "dommage ou du risque de dommage".

La proposition de suspension, par le juge des référés, de l'exécution de la décision entreprise, dés réception de la demande. Il s'agit sans doute de la mesure la plus importante de cette proposition de loi. L'article 1er de la proposition de loi prévoit d'insérer, après le premier alinéa de l'article L.521-1 du code de justice administrative, un alinéa ainsi rédigé : "En matière environnementale, le juge des référés peut ordonner la suspension immédiate de la décision, dès réception de la demande, s'il estime que la gravité ou le caractère durable du dommage ou du risque de dommage le justifie. La suspension peut ensuite être prorogée lors du prononcé du référé selon la procédure prévue au premier alinéa."

Cette proposition de loi s'écarte de celle, portée depuis longtemps par des associations de protection de l'environnement et tendant à ce que le dépôt d'une requête en référé-suspension ait toujours un caractère suspensif. La proposition de loi prévoit uniquement de donner la possibilité (et non de créer une obligation) pour le juge administratif, saisi d'une demande de suspension en référé, d'ordonner la suspension immédiate de [l'exécution] la décision. Ainsi, le juge des référés pourrait, sans instruction, sans contradictoire, sans recueillir les observations de l'auteur et du bénéficiaire de la décision, décider de suspendre l'exécution d'une décision d'autorisation de travaux (par exemple).

A notre sens, cette nouvelle disposition ne devrait pas produire beaucoup d'effets. En premier lieu, si une partie souhaite demander la suspension immédiate de l'exécution d'une décision administrative, elle dispose désormais de la possibilité, en matière environnementale, de présenter une requête en référé-liberté (article L.521-2 du code de justice administrative) qui permet au juge administratif de se prononcer en 48 heures. Par ailleurs, il est très peu probable que le juge du référé-suspension accepte de suspendre l'exécution d'une décision administrative sans lire ni entendre l'auteur ou le bénéficiaire de la décision contestée. 

La proposition de suspension, par le juge des référés, de l'exécution d'une décision prise à la suite d'une étude d'impact insuffisante. Le code de l'environnement prévoir pour l'heure que le juge du référé-suspension est tenu de suspendre l'exécution d'une décision prise à la suite d'une procédure illégalement dépourvue d'étude d'impact. Comme cela a été rappelé, l'article L.122-2 du code de l'environnement  dispose que, si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d'approbation d'un projet visé au I de l'article L. 122-1 est fondée sur l'absence d'étude d'impact, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée. Le cas où l'étude d'impact n'a pas du tout été rédigée est, à notre connaissance, rare. 

L'article 2 de la proposition de loi prévoit d'ajouter un nouvel alinéa à cet article L.122-2 de manière à que le juge du référé-suspension puisse - il ne s'agit plus d'une obligation mais d'une possibilité - suspendre l'exécution d'une décision administrative précédée d'une étude d'impact d'une "insuffisante manifeste" : "Lorsque que cette requête est fondée sur une insuffisance manifeste de l'étude d'impact, le juge des référés peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains de ses effets."

Cette proposition revient à dispenser le requérant de la preuve de l'urgence à suspendre. Toutefois, elle comporte plusieurs limites. D'une part elle ne créerait qu'une possibilité et non une obligation pour le juge des référés. Ce dernier pourra aussi, même en présence d'une étude d'impact "manifestement insuffisante" décider de ne pas faire droit à la demande de suspension. D'autre part, il conviendra de s'entendre sur ce qu'est une étude d'impact "manifestement insuffisante". Est-il même opportun, d'un point de vue tant juridique que scientifique, de tenter de placer un curseur entre une étude d'impact insuffisante et une étude d'impact manifestement insuffisante ? Enfin, que pourra-t-on déduire d'une absence de réponse, de la part du juge des référés, à la demande du requérant tendant à ce que celui-ci suspende l'autorisation délivrée à la suite d'une étude d'impact manifestement insuffisante ?

B. La proposition de réforme de la procédure de référé-liberté devant le juge administratif (article 1er)

1. Le cadre juridique actuel

La procédure du référé-liberté - qui permet une intervention du juge administratif des référés en moins de 48h - est définie en ces termes à l'article L.521-2 du code de justice administrative :

"Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures."
Aux termes de ces dispositions, pour que le juge du référé-liberté puisse accueillir favorablement une demande de sauvegarde d'une liberté fondamentale, deux conditions de fond doivent être remplies par l'auteur de la requête :
  • la demande doit présenter un caractère d'urgence :
  • la demande doit démontrer que l'intervention du juge est nécessaire "à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale"

A ces conditions définies à l'article L.521-2 précité du code de justice administrative, il convient d'ajouter celle, plus générale tenant à ce que la mesure, dont le prononcé est demandé, corresponde à l'office du juge du référé-liberté.

Reste à préciser ce qu'est, au sens de cet article, une "liberté fondamentale". Plusieurs droits garantis par la Constitution, qui ne sont pas formellement des libertés, sont d'ores et déjà qualifiés des "libertés fondamentales » au titre de l'article L.521-2 du code de justice administrative relatif à la procédure du référé liberté. Le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a déjà érigé en liberté fondamentale, les droits constitutionnels suivants :

  • Le droit d'asile (Conseil d'Etat, ord., 12 janvier 2001, Mme Hyacinthe, n°229039),
  • Le droit de propriété (Conseil d'Etat, ord., 21 novembre 2002, société GDF, n°251726),
  • Le droit de grève (Conseil d'Etat, ord., 9 décembre 2003, Mme Aguillon, n°262186),
  • Le droit de mener une vie familiale normale (Conseil d'Etat, ord. 30 octobre 2001, ministre de l'intérieur c/ Mme Tliba, n°238211),
  • Le droit syndical (Conseil d'Etat, 31 mai 2007, syndicat CFDT Interco, n°298293)
A la suite de l'adoption de la Charte de l'environnement (loi constitutionnelle du 1er mars 2005), la question s'est posée de savoir si le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à son article 1er, peut constituer une "liberté fondamentale" au sens des dispositions de l'article L.521-2 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 29 avril 2005, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a qualifié ce droit à l'environnement de liberté fondamentale au sens de l'article L.521-2 du code de justice administrative : "Considérant qu'en « adossant » à la Constitution une Charte de l'Environnement qui proclame en son article premier que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », le législateur a nécessairement entendu ériger le droit à l'environnement en « liberté fondamentale » de valeur constitutionnelle" (Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et a. c/ préfet de la Marne, 0500828;0500829;0500830).

Par une ordonnance en date du 20 septembre 2022, le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a jugé que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que consacré à l'article 1er de la Charte présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L.521-2 du code de justice administrative relatif à la procédure du référé-liberté. 

Par une ordonnance n°2208000 en date du 5 octobre 2022, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Marseille a confirmé la recherche d'un équilibre entre le droit à l'environnement et le principe de sécurité juridique. Il a rejeté la demande de suspension de l'exécution d'une autorisation de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, accordée pour la construction d'une centrale solaire photovoltaïque.
  • Il a souligné, à titre principal, que le projet de centrale solaire contesté a donné lieu, outre l'autorisation de dérogation, à un permis de construire et une autorisation de défrichement que l'association requérante n'a pas contestés et qui sont devenus définitifs.
  • Plus largement, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Marseille a souligné que l'office du juge du référé-liberté ne saurait se être confondu avec celui du juge de l'excès de pouvoir.

Ainsi, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que consacré à l'article 1er de la Charte présente bien, pour le juge administratif, le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L.521-2 du code de justice administrative relatif à la procédure du référé-liberté.

2. La proposition de loi

L'article 1er de la proposition de loi ici commentée prévoit de compléter la rédaction de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par un alinéa ainsi rédigé : "Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé tel que consacré par l'article premier de la Charte de l'environnement présente le caractère d'une liberté fondamentale."

Cet ajout aurait certainement été utile avant que le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat ne confirme, par une ordonnance en date du 20 septembre 2022 que le droit à un environnement sain et équilibré présente le caractère d'une liberté fondamentale. L'auteur de ces lignes a, par le passé, défendu l'idée et rédigé plusieurs amendements parlementaires pour que le législateur procède à cette qualification. 

Toutefois, depuis l'ordonnance précitée du Conseil d'Etat, l'utilité d'une telle précision dans la loi est devenue moins évidente. Il est peu probable que le Conseil d'Etat revienne un jour sur le sens de son ordonnance du 20 septembre 2022. Il est moins certain que le législateur ne revienne jamais sur cette qualification. Aussi, cette disposition de l'article 1er de la proposition de loi de Mmes Moutchou et Untermaier ne paraît plus indispensable. 

Si le législateur souhaite intervenir à l'endroit de la procédure de référé-liberté, il nous semble que le débat devrait porter sur les nombreux conditions que le Conseil d'Etat a pu définir, sans doute dans le but de contenir un éventuel engouement des requérants pour cette procédure.

C. La proposition de réforme du référé pénal environnemental (article 2)

1. Le cadre juridique actuel

Cette procédure a pour origine l'article 30 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau aux termes duquel le tribunal correction peut, dans un délai de 48 heures faire cesser le trouble résultant d'une violation des règles de la police de l'eau, en ordonnant "toute mesure utile". 

Cette procédure est désormais organisée par les dispositions de l'article L.216-13 du code de l'environnement, dans sa rédaction modifiée par la n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (article 284).

Cette procédure a pour objet faire cesser le trouble résultant d'une violation 

- des prescriptions d'une autorisation environnementale (article L. 181-12 du code de l'environnement)

- d'une décision de la police de l'eau (articles L. 211-2, L. 211-3 et L. 214-1 à L. 214-6 du code de l'environnement)

- d'une décision de la police de l'environnement prise sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement

- de l'interdiction du recours à la fracturation hydraulique (article L. 111-13 du code minier)

- d'une décision de la police des installations classées au titre du livre V (titre Ier) du code de l'environnement

Dans ces cas, le juge des libertés et de la détention peut être saisi à la requête du procureur de la République, agissant d'office ou à la demande de l'autorité administrative, de la victime ou d'une association agréée de protection de l'environnement.

Cette procédure confère le pouvoir au juge des libertés et de la détention d'ordonner pour une durée d'un an au plus aux personnes physiques et aux personnes morales concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l'interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale.

Par une décision du 24 mars 2020, la Cour de cassation (chambre criminelle) a précisé que le juge des libertés et de la détention n'est pas tenu de caractériser une faute pénale pour prononcer une mesure conservatoire : "que l'article L. 216-13 du code de l'environnement ne subordonne pas à la caractérisation d'une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale le prononcé par le juge des libertés et de la détention, lors d'une enquête pénale, de mesures conservatoires destinées à mettre un terme à une pollution ou à en limiter les effets dans un but de préservation de l'environnement et de sécurité sanitaire".

Aux termes de leur rapport publié en 2021 à la suite de leur mission flash, les députées Moutchou et Untermaier avaient proposé de réformer cette procédure "trop peu usitée" : Une autre procédure spécifique à l'environnement nous semble pouvoir être améliorée : le référé pénal spécial prévu par l'article L. 216-13 du code de l'environnement. Cette procédure, trop peu usitée, est prometteuse en ce qu'elle permet d'agir efficacement pour faire cesser une atteinte à l'environnement. Elle offre ainsi au procureur de la République la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) en cas de non-respect de certaines prescriptions du même code – notamment les règles liées à la procédure générale d'autorisation environnementale (1) et les règles générales et spéciales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer (2). Le JLD peut alors ordonner aux personnes concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l'interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale. Nous estimons que cette procédure pourrait être élargie à l'ensemble des atteintes à l'environnement afin de permettre l'intervention du procureur de la République et du JLD dans un nombre plus important de situations."


2. La proposition de loi 

L'article 2 de la proposition de loi prévoit d'élargir le champ d'application de cette procédure devant le juge des libertés et la détention en l'ouvrant à un ensemble beaucoup plus large de cas d'atteinte ou du risque d'atteinte à l'environnement : 

"Au premier alinéa de l'article L. 216‑13, les mots : « imposées au titre des articles L. 181‑12, L. 211‑2, L. 211‑3 et L. 214‑1 à L. 214‑6 ou des mesures édictées en application de l'article L. 171‑7 du présent code ou de l'article L. 111‑13 du code minier, » sont remplacés par les mots : « par le code de l'environnement, le code forestier, le titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime, par les 1° et 2° du I de l'article L. 512‑1 et les articles L. 111‑13 et L. 512‑2 du code minier ainsi que par l'article 76 de la loi n° 2014‑1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt,".

L'exposé des motifs de la proposition de loi précise l'intention de ses auteures : "Dans un souci de plus grande prévention des atteintes à l'environnement, l'élargissement de ce référé permettrait ainsi d'englober l'ensemble des délits à caractère environnemental, tels qu'ils ont été délimités par le champ de compétence des nouveaux pôles juridictionnels environnementaux institués par l'article 15 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée".

A notre sens, cette mesure, si elle était votée n'aurait pas non plus beaucoup d'effets. LA question n'est en effet pas celle du texte mais celle des moyens alloués pour en permettre l'application. Il est très délicat pour un juge unique de se prononcer en trés peu de temps et au milieu de bien d'autres dossiers sur des sujets aussi complexes que ceux afférents à la protection de l'environnement. La question de l'information disponible et de l'administration devrait aussi être traitée prioritairement. A défaut, cette procédure de référé pénal environnemental demeurera sans doute "peu usitée".

D. La proposition de réforme de la procédure de référé conservatoire fondée sur l'article 835 de procédure civile (article 3)

L'article 3 de la proposition de loi prévoit de modifier la rédaction de l'article 835 du code de procédure civile en ajoutant, après le mot "imminent", les mots : " , grave ou durable". L'article 835 du code de procédure civile serait alors ainsi rédigé :

"Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, grave ou durable, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire."

L'exposé des motifs de la proposition de loi précise : "Les auditions conduites par les députées Naïma Moutchou et Cécile Untermaier nous ont montré que, dans le domaine environnemental, la notion d'imminence du dommage était souvent inadéquate, notamment en ce qu'elle peine à prendre en compte la temporalité parfois spécifique de certains dommages environnementaux qui peuvent être de long terme. Cet article complète donc le référé prévu par l'article 835 du code de procédure civile afin qu'il puisse également concerner les cas où les dommages seraient graves ou durables."

Cette réforme aurait le mérite de ne plus limiter cette procédure du référé-conservatoire à la prévention ou à la cessation des dommages "imminents". Toutefois, il convient de nouveau de souligner que la priorité tient sans doute à une réflexion dont disposent les parties et les juges.

Arnaud Gossement

Avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne

A lire également :

Note du 12 octobre 2022 - Référé-liberté : le droit à l'environnement est une liberté fondamentale mais le juge du référé-liberté ne peut pas être saisi d'une demande de suspension des effets d'une autorisation (dérogation espèce protégées pour une centrale solaire) devenue définitive (Tribunal administratif de Marseille, ref, 5 octobre 2022, n°2208000)


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