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La consultation pour avis d'une commission administrative doit être réelle et pas simplement formelle : le cas de la commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs (Conseil d'État, 20 mars 2024, n°450282 - CIFREP / Filière REP DDS)

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Par une décision rendue ce 20 mars 2024, le Conseil d'Etat a précisé les conditions de consultation pour avis de la "commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs" (CIFREP). Pour la Haute juridiction administrative, la lecture du compte-rendu établi à l'issue d'une réunion de cette commission démontre que celle-ci "n'a pas été consultée" sur un projet de texte et ce, alors même que ladite commission a pourtant été saisie du texte. Après avoir annulé l'arrêté portant cahier des charges du 20 août 2018 pour défaut de participation du public, le Conseil d'Etat annule donc partiellement l'arrêté modificatif de ce cahier des charges, daté du 1er décembre 2020, pour défaut de consultation régulière de la CIFREP. Une décision susceptible d'intéresser l'ensemble des consultations de commissions administratives et qui pourrait produire d'importantes conséquences pour leurs modalités de consultation mais aussi pour le contentieux dirigé contre les décisions prises après avis de telles commissions. Commentaire. 
I. Les principales dates du contentieux du cahier des charges d'agrément des éco-organismes de la filière REP DDS

2018 : publication du cahier des charges de 2018 de la filière des déchets diffus spécifiques (DDS) ménagers. Par un arrêté du 20 août 2018, le Gouvernement a défini la procédure d'agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets diffus spécifiques (DDS) ménagers, pour le cas des catégories 3 à 10 de produits chimiques désignés à l'article R. 543-228 du code de l'environnement.

2020 : publication de l'arrêté du 1er décembre 2020 modifiant le cahier des charges de 2018 de la filière des déchets diffus spécifiques. Cet arrêté peut être consulté ici

2021 : annulation par le Conseil d'Etat du cahier des charges de 2018 pour défaut de participation du public. Par une décision du 7 juillet 2021, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêté portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets diffus spécifiques (catégories 3 à 10). Il a jugé que cet arrêté est au nombre des décisions ayant une incidence et, en conséquence, aurait dû faire l'objet d'une procédure de participation du public préalablement à son adoption (article L. 123-19-1 du code de l'environnement) : "6. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'arrêté attaqué et du cahier des charges qui lui est annexé, dont les effets sont directs et significatifs, ont une incidence sur l'environnement. Leur adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation préalable du public conformément aux dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement précédemment citées. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué a été pris au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que ses dispositions n'ont pas fait l'objet d'une telle consultation préalablement à leur adoption". Le Conseil d'Etat a différé l'effet de l'annulation de l'arrêté jusqu'au 1er janvier 2022, de manière à ne pas perturber l'organisation de la filière dans l'attente de l'adoption d'un nouvel arrêté et, en annexe, d'un nouveau cahier des charges.

2024 : annulation partielle par le Conseil d'Etat de l'arrêté du 1er décembre 2020 modifiant le cahier des charges de 2018, pour défaut de consultation régulière de la CIFREP. Par sa décision ici commentée du 20 mars 2024, le Conseil d'Etat a statué sur la requête par laquelle un éco-organisme intervenant dans la filière des déchets diffus spécifiques ménagers (DDS), a demandé l'annulation de deux dispositions de l'arrêté du 1er décembre 2020 modifiant le cahier des charges des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie des producteurs pour les déchets diffus spécifiques (DDS) ménagers des catégories 3 à 10 de produits chimiques désignés à l'article R. 543-228 du code de l'environnement.

Très exactement, cet éco-organisme requérant a demandé l'annulation :

- d'une part, du dernier alinéa de l'article 2 de cet arrêté du 1er décembre 2020 (abrogation des dispositions du chapitre 2.4.2 du cahier des charges de 2018).

- d'autre part du I de son annexe III. Il s'agit des "dispositions spécifiques aux territoires d'outre-mer" lesquelles prévoyaient une majoration des barèmes dans les collectivités des territoires d'outre-mer.

Par sa décision ici commentée et rendue le 20 mars 2024, le Conseil d'Etat a : 

- annulé le dernier alinéa de l'article 2 de l'arrêté du 1er décembre 2020 modifiant le cahier des charges des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie des producteurs pour les déchets diffus spécifiques (DDS)

- annulé le I de l'annexe III sont annulés. Cette annulation prendra effet le 1er janvier 2022. 

- différé l'effet de cette annulation au 1er janvier 2022

II. Rappel : la "commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs" (CIFREP)

Pour mémoire, l'article L.541-10 II du code de l'environnement prévoit la création d'une "instance représentative des parties prenantes" des filières de responsabilité élargie du producteur (filières REP). 

"Les éco-organismes sont agréés par l'Etat pour une durée maximale de six ans renouvelable s'ils établissent qu'ils disposent des capacités techniques et financières pour répondre aux exigences d'un cahier des charges, fixé par arrêté interministériel, et après avis de l'instance représentative des parties prenantes de la filière" (nous soulignons).

La liste des ces filières REP figure à cet article L.541-10.

La composition et les missions de cette ""instance représentative des parties prenantes" - dénommée commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs (CIFREP) - sont précisées à l'article D.541-6-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret n°2021-726 du 8 juin 2021 (article 3). 

En synthèse, cette commission :

- est placée auprès du ministre chargé de l'environnement.

- comprend 1 président et 5 collèges (producteurs, collectivités territoriales, associations de protection de l'environnement agréés, opérateurs de la prévention et de la gestion des déchets, Etat)

- est (obligatoirement) consultée pour avis notamment sur : les projets d'arrêtés portant cahiers des charges impartis aux éco-organismes ou systèmes individuels de chaque filière ; les demandes d'agrément des éco-organismes et des systèmes individuels ; les projets d'arrêtés relatifs aux modulations des contributions financières versées par les producteurs, prévues à l'article L. 541-10-3 ; les orientations des actions de communication inter-filières mises en œuvre par le ministre chargé de - l'environnement en application de l'article L. 541-10-2-1, et le bilan de ces actions.

- peut être également être consultée par le ministère chargé de l'environnement sur les projets de textes législatifs et réglementaires ayant une incidence sur les filières de responsabilité élargie des producteurs.

L'article D.541-6-1 du code de l'environnement précise en outre que "Les avis émis par la commission le sont à titre consultatif. Ces avis sont rendus publics". Le calendrier des réunions de la CIPFREP et les compte-rendus de réunion sont disponibles sur le site internet du ministère chargé de l'écologie. 

III. Sur le défaut de consultation régulière de la CIFREP

Aux termes de sa décision ici commentée, le Conseil d'Etat a jugé que l'arrêté du 1er décembre 2020 a été publié à la suite d'une procédure irrégulière. En effet, la CIFREP "n'a pas été consultée" sur le dispositif de majoration des barèmes applicables dans les collectivités des territoires d'outre-mer introduit au I de l'annexe III de l'arrêté attaqué :

"3. Il ressort des pièces du dossier que la société X soutient, sans être contredite, qu'il résulte du compte-rendu de la réunion de cette commission du 24 novembre 2020 que celle-ci n'a pas été consultée sur le dispositif de majoration des barèmes applicables dans les collectivités des territoires d'outre-mer introduit au I de l'annexe III de l'arrêté attaqué. Par suite, la société requérante est, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, fondée à soutenir que les dispositions qu'elle attaque ont été prises au terme d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation."

Le Conseil d'Etat déduit le vice de procédure pour défaut de consultation régulière de la CIFREP de la lecture du compte-rendu de sa réunion du 24 novembre 2020. Il ne précise cependant pas le motif exact pour lequel cette consultation n'est pas régulière. Sa décision indique uniquement

- que le Conseil d'Etat s'est prononcé sur le fondement du compte-rendu de cette réunion du 24 novembre 2020 : "il résulte du compte-rendu de la réunion de cette commission du 24 novembre 2020"

- que l'absence de consultation régulière concerne une disposition en particulier du projet de texte

Cette décision appelle les observations suivantes.

En premier lieu, elle confirme - implicitement - que les arrêtés modificatifs de cahier des charges d'agrément d'éco-organismes doivent être soumis pour avis à la CIFREP. Reste à savoir si toute modification - substantielle ou non - doit faire faire l'objet d'une consultation.

En second lieu, cette décision peut être interprétée comme imposant une consultation formelle mais réelle de cette commission administrative. 

Dans les faits, cette commission avait bien été saisie du projet de texte dont est issu l'arrêté entrepris. Ce qui ne semble pas avoir été jugé suffisant par le Conseil d'Etat. 

Plus précisément, la lecture du compte rendu de la réunion de la CIFREP du 24 novembre 2020 démontre que cette commission a bien été saisie pour avis sur le projet de texte qui deviendra, par la suite, l'arrêté du 1er décembre 2020 : 

"Après avoir entendu la présentation et les explications de la DGPR sur le projet d'arrêté relatif au cahier des charges de la filière des DDS, les principales questions traitées ont porté sur les sujets ci-dessous.

Un représentant des producteurs a indiqué que l'abrogation de la disposition du cahier des charges relative à la constitution de provisions pour charge futures soulevait une difficulté de mise en œuvre à court terme pour l'éco-organisme déjà agréé.

Un représentant des opérateurs de la prévention et de la gestion des déchets a suggéré d'élargir l'expérimentation de recyclage des peintures à leur réutilisation ou réemploi.

La DGPR a proposé d'ajuster le cahier des charges pour que l'abrogation des dispositions sur les provisions pour charges intervienne à l'issue de l'exercice comptable en cours s'agissant des éco-organismes déjà agrées.

La commission a émis l'avis suivant :

Avis favorable :
o Pour: 15
o Contre: 0
o Abstention: 9 (2 MEDEF, 2 CPME, 1 AFEP, 2 AMF, 1 ADF, 1 ARF)
"

Ce compte-rendu prouve que la CIFREP a bien été rendue destinataire du projet de texte dont est issu l'arrêté qui sera l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat. Il est toutefois exact que ce compte rendu ne précise pas si toutes les décisions du projet d'arrêté ont bien été examinées et débattues par les membres de la CIFREP. Il ne fait pas état de la disposition relative à la majoration du barème. 

De notre interprétation de la décision rendue par le Conseil d'Etat ce 20 mars 2024, pour que la consultation pour avis de la CIFREP soit régulière, elle ne doit pas simplement être saisie d'un projet de texte mais doit aussi en débattre. Il importe donc que le compte-rendu fasse apparaître que l'ensemble des dispositions du projet de texte a bien été examiné par la CIFREP. 

En troisième lieu, cette décision du Conseil d'Etat s'applique-t-elle à toutes les procédures de consultation pour avis d'une commission administrative ?

Les dispositions législatives et réglementaires relatives à la CIFREP ne précisent pas de quelle manière celle-ci doit être consultée. La solution ici retenue par le Conseil d'Etat et selon laquelle la consultation de cette commission peut être irrégulière même si le projet de texte lui a été présentée ne semble donc pas procéder d'une disposition propre au régime juridique de la CIFREP. 

Il convient de rester prudent et d'attendre une confirmation éventuelle mais il est possible de lire cette décision du 20 mars 2024 comme témoignant du souci du Conseil d'Etat de ne pas accepter des consultations purement formelles de commissions administratives. 

Par précaution, il importe certainement que les compte-rendus et avis des commissions administratives saisies pour avis soient plus longuement rédigés de manière à bien préciser que chaque disposition des textes à l'ordre du jour a bien été examinée. 

Pour l'heure, l'article R133-13 du code des relations entre le public et l'administration dispose que "Le procès-verbal de la réunion de la commission indique le nom et la qualité des membres présents, les questions traitées au cours de la séance et le sens de chacune des délibérations. Il précise, s'il y a lieu, le nom des mandataires et des mandants./ Tout membre de la commission peut demander qu'il soit fait mention de son désaccord avec l'avis rendu./ L'avis rendu est transmis à l'autorité compétente pour prendre la décision".

La présente décision du Conseil d'Etat pourrait donc avoir pour effet d'accroître l'importance du procès-verbal de réunion d'une commission administrative, celui-ci devant donc désormais préciser que chaque disposition, chaque mesure de chaque texte a bien été débattue. Reste que cette interprétation nouvelle de l'article R.133-13 du code des relations entre le public et l'administration pose bien d'autres questions. L'une d'elle a bien entendu trait aux avis réputés favorables de commissions qui ne se sont pourtant pas réunies. Nous arriverions ainsi à la situation suivante : une commission administrative aurait le choix entre ne pas se réunir ou se réunir et, dans ce cas, devoir examiner de manière plus approfondie qu'auparavant les textes qui lui sont présentés. 

Arnaud Gossement

Avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne

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