Qu'est ce qu'un déchet ? Le Conseil d'Etat apporte de substantielles précisions relatives à la définition du déchet (Conseil d'Etat, 26 juin 2023, commune de Marigny-le-Lozon, n°457040)
Résumé
1. La définition en droit interne du déchet est la suivante : "Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire" (article L541-1-1 du code de l'environnement).
2. La définition du déchet procède ainsi d'un critère relatif à la matière dont est issu le déchet ("toute substance ou tout objet ou plus généralement tout bien meuble") et d'un critère relatif à l'action à l'intention du détenteur de ce bien ("dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire").
3. Par une décision n°437105 rendue le 24 novembre 2021, le Conseil d'Etat a :
- confirmé l'abandon du critère de définition du déchet tiré du processus de production. Le statut de déchet ne dépend plus de la question de savoir s'il correspond à une "substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue".
- précisé que le critère tiré de "l'utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable du déchet" doit être apprécié au cas par cas, en fonction du dispositif juridique applicable au déchet concerné.
4. Par une décision n°457040 rendue ce 26 juin 2023, le Conseil d'État a :
- précisé que, pour l'appréciation du critère tiré de l'abandon du bien par son détenteur, il convient de tenir compte de l'état et des conditions de dépôt du bien.
- précisé que l'appréciation du critère tiré de l'utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable du déchet ne dépend pas des affirmations du propriétaire du terrain de dépôt des déchets
L'apport principal de cette décision du 26 juin 2023 tient à ce qu'il convient de tenir compte, pour qualifier un bien de déchet, de son état et de ses conditions de dépôt. Une qualification qui devra être réalisée au cas par cas et qui suscitera sans doute des débats. Cette approche révèle sans doute le souci du Conseil d'Etat de faciliter l'exercice de la police administrative des déchets par les maires. Lesquels sont régulièrement appelés à intervenir à l'endroit de dépôts de déchets sur les terrains mêmes de leurs administrés.
I. Faits et procédure
7 avril 2017 : arrêté par lequel le maire de la commune de Marigny-le-Lozon (Manche) a mis en demeure M.B. de mettre fin au dépôt sauvage de déchets sur un terrain lui appartenant.
6 décembre 2017 : arrêté par lequel le maire de la commune de Marigny-le-Lozon (Manche) a, sur le fondement des dispositions de l'article L.541-3 du code de l'environnement, mis à la charge de M. B... une astreinte de 50 euros par jour, dans la limite de 8 400 euros, jusqu'à ce que celui-ci ait satisfait à la mise en demeure précitée.
7 février 2020 : jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande de M. B. tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2017.
5 mars 2021 : arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel formé contre le jugement précité.
M. B... se pourvoit en cassation devant le Conseil d'Etat contre cet arrêt du 5 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Nantes.
II. Commentaire
Les développements qui suivent sont consacrés, d'une part à la présentation de l'apport de la décision n°457040 du 26 juin 2023 du Conseil d'Etat, d'autre part à un rappel des dernières étapes de l'évolution historique de la définition du déchet.
A. L'apport de la décision n°457040 rendue ce 26 juin 2023 par le Conseil d'Etat
La décision n°457040 rendue ce 26 juin 2023 par le Conseil d'Etat comporte plusieurs précisions du contenu de la définition du déchet :
"3. Un déchet au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement cité au point précédent est un bien dont son détenteur se défait ou dont il a l'intention de se défaire, sans qu'il soit besoin de déterminer si ce bien a été recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu. Aux fins d'apprécier si un bien constitue ou non un déchet au sens de ces dispositions, il y a notamment lieu de prendre en compte le caractère suffisamment certain d'une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable. Lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d'usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d'abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés, comme des biens dont leur détenteur s'est effectivement défait et présenter dès lors le caractère de déchets au regard des dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, alors même qu'ils y ont été déposés par le propriétaire du terrain. Au regard de ces critères, lorsque les circonstances révèlent que la réutilisation de ces biens sans transformation n'est pas suffisamment certaine, les seules affirmations du propriétaire indiquant qu'il n'avait pas l'intention de se défaire de ces biens, ne sont pas susceptibles de remettre en cause leur qualification comme déchet."(nous soulignons)
Les critères de définition du déchet sont donc les suivants.
1. Le critère relatif au bien dont est issu le déchet : le déchet procède d'un "bien". On notera ici que le Conseil d'Etat ne reprend pas tous les éléments présents dans la définition du déchet ("toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble") mais fait uniquement état de la notion de "bien".
2. Le critère relatif à l'action ou à l'intention du détenteur dudit bien. L'appréciation de ce critère suppose de savoir si le déchet en cause est un bien "dont son détenteur se défait ou dont il a l'intention de se défaire".
Le critère suivant a été abandonné : "sans qu'il soit besoin de déterminer si ce bien a été recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu"
L'apport de la décision rendue ce 26 juin 2023 par le Conseil d'Etat tient aux précisions qu'elle comporte à l'endroit du contenu du critère relatif à l'abandon d'un bien par son détenteur :
"Lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d'usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d'abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés, comme des biens dont leur détenteur s'est effectivement défait et présenter dès lors le caractère de déchets au regard des dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, alors même qu'ils y ont été déposés par le propriétaire du terrain. Au regard de ces critères, lorsque les circonstances révèlent que la réutilisation de ces biens sans transformation n'est pas suffisamment certaine, les seules affirmations du propriétaire indiquant qu'il n'avait pas l'intention de se défaire de ces biens, ne sont pas susceptibles de remettre en cause leur qualification comme déchet."
Ainsi, cette décision comporte les trois précisions suivantes quant aux conditions d'appréciation du critère de définition d'un déchet relatif à l'abandon d'un bien par son détenteur. L'appréciation de ce critère suppose :
- de tenir compte de l'état du bien abandonné : "compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d'usage" (CE, 26 juin 2023, n°457040).
- de tenir compte des conditions de dépôt du bien abandonné : "et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d'abandon sur un terrain" (CE, 26 juin 2023, n°457040).
- Le critère relatif à la chose dont le déchet est issu. Le déchet procède ainsi d'un bien, une substance, un objet "ou plus généralement tout bien meuble"
- Le critère relatif à l'action ou à l'intention de la personne qui créé le déchet : le "détenteur". La création d'un déchet suppose que le détenteur du bien qui en est à l'origine : se défait, a l'intention de se défaire ou l'obligation de se défaire dudit bien. Il convient de souligner que la seule intention ou obligation de se défaire d'un bien meuble suffit à ce qu'il prenne le statut de déchet. Le détenteur du bien meuble devient alors le producteur du déchet issu du bien meuble.
En droit interne, l'article 1er de la la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux comportait la définition suivant, sensiblement différente de celle désormais en vigueur :
"Est un déchet au sens de la présente loi tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon".
L'article L.541-1 du code de l'environnement précisait, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets :
"II. - Est un déchet au sens du présent chapitre tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon."
Aux termes de cette définition, le déchet était qualifié - à l'article L.541-1 du code de l'environnement - en fonction des critères suivants :
- le critère tiré du processus dont est issu le déchet : "résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation".
- le critère tiré de la matière dont est issu le déchet : "toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble"
- le critère tiré de la décision du détenteur : "abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon."
Les deux premiers critères, relatifs à la provenance du décret sont alternatifs : le déchet peut procéder :
- soit d'un résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation ;
- soit de toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble.
L'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 a déplacé la définition du déchet, de l'article L.541-1 à l'article L.541-1-1 nouvellement créé. La définition est elle-même a été modifiée :
"Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ; "
Le déchet n'est donc plus défini en fonction du critère tiré du processus de production, de transformation ou d'utilisation dont il peut être issu mais uniquement en fonction : du critère tiré de la matière dont il provient et du critère tiré de l'intention ou de l'obligation de son détenteur de s'en défaire.
Le premier des trois critères de définition du décret (depuis la loi du 15 juillet 1975) a donc été supprimé, le deuxième a été conservé et le troisième a été modifié. La définition en vigueur depuis 2010 est ainsi plus large.
NB : Les dispositions précitées comportent la définition générale du déchet. L'arrêt ici commenté et rendu le 24 novembre 2021 par le Conseil d'Etat a trait à une situation spécifique : la définition du déchet lorsqu'il est issu de l'exploitation d'une installation classée (ICPE).
V. L'abandon du critère de définition du déchet tiré du processus de production
La jurisprudence du Conseil d'Etat de 2011 à 2021. Le Conseil d'Etat ne va pas immédiatement tirer toutes les conséquences de cette modification de la définition du déchet par l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010, à l'article L.541-1-1 du code de l'environnement, lorsque le déchet provient d'une installation classée pour la protection de l'environnement. Il est très important de bien souligner que nous discutons ici de la définition du déchet en relation avec la police des ICPE.
Par une décision n°324728 du 26 juillet 2011 le Conseil d'Etat a en effet jugé que, "pour l'application de la législation relative aux installations classées", un déchet est "toute substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine" :
"Considérant, en second lieu, que pour l'application de la législation relative aux installations classées, doit être regardée comme déchet toute substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine ; qu'en jugeant que l'activité de fabrication d'un amendement organique de la Société L. relevait de la rubrique n° 167 c de la nomenclature des installations classées au seul motif qu'entrait dans la composition du produit fini une solution de sulfate d'ammonium qui était un sous-produit de l'industrie chimique, sans rechercher si la réutilisation de cette substance, possible sans transformation préalable, était certaine, de sorte qu'elle échapperait à la qualification de déchet, la cour administrative d'appel de Douai a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;"
Aux termes de ce considérant, le Conseil d'Etat définit le déchet en fonction des critères suivants dans la situation précise suivante : "pour l'application de la législation relative aux installations classées".
- le critère tiré du processus dont est issu le déchet : "toute substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue" ;
- le critère de la matière dont provient le déchet : "toute substance"
- le critère de l'utilisation ultérieure du déchet : "à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine"
Par une décision n°348912 rendue le 1er mars 2013, le Conseil d'Etat a jugé dans le même sens :
"5. Considérant, en premier lieu, que la seule circonstance qu'une substance puisse être réutilisée ne fait pas obstacle à sa qualification de déchet au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ; que doit être regardée comme déchet au sens de cette législation toute substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine ;"
Ce considérant fait de nouveau référence à "toute substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue".
- que les pneus stockés par la société A. n'ont pas fait l'objet de la certification prévue à l'article R. 543-164 du code de l'environnement :
- que cette société ne dispose pas de l'agrément lui permettant de procéder à cette certification par elle-même.
Conclusion : la société ne démontre pas que les pneus qu'elle stocke feront l'objet d"une "utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable". Ils ont donc bien le statut de déchets. L'arrêt précise :
"9. Il ne résulte pas de l'instruction que les pneus stockés par la société A. aient fait l'objet de la certification prévue à l'article R. 543-164 du code de l'environnement avant de lui être cédés, ni que cette société dispose de l'agrément nécessaire pour y procéder par elle-même. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les pneus usagés qu'elle stocke seraient dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation dans l'usage initial, sans transformation ou réhabilitation préalable, et qu'ils auraient ainsi perdu la qualité de déchets."
Conséquence : les pneus usagés conservent leur statut de déchets et leur stockage relève de la police des installations classées. C'est donc à bon droit que la préfète a enjoint à la société A. qui stocke ces déchets, de régulariser sa situation en procédant à une déclaration au titre de la police des ICPE :
"10. Dès lors qu'il n'est pas contesté que leur volume total excédait le seuil de 100 m3 fixé par la rubrique n° 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, applicable au stockage des déchets de pneumatiques, c'est à bon droit que la préfète de la C. a enjoint à cette société de régulariser sa situation en procédant à la déclaration correspondante, accompagnée d'une demande d'agrément pour la collecte et le stockage des déchets de pneumatiques, et lui a interdit, à titre transitoire et dans l'attente de cette régularisation, de collecter et d'exporter des déchets de pneumatiques. Par suite, la société X n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 10 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de la préfète de la C. du 3 juin 2016."
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