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Nucléaire : le Sénat et le Gouvernement prévoient de supprimer l'objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité (projet de loi)

nuclaire
Ce 17 janvier 2023, le Sénat engage la discussion en séance publique du projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Dans sa rédaction adoptée en commission, ce texte comporte notamment une suppression de l'objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité, d'autre part du plafond de production à . Cette double suppression est soutenue par le Gouvernement aux termes d'un amendement n°118 déposé ce 16 janvier 2023. Commentaire [NB : article mis à jour le 17 janvier 2023]

NB : la présente note est relative au projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes dans sa rédaction telle qu'adoptée en par la commission des affaires économiques, le 11 janvier 2023. Le projet de loi doit désormais être examiné en séance publique puis à l'Assemblée nationale. Sa rédaction va donc évoluer. 

Commentaire général

Le projet de loi était jusqu'à présent conçu comme un projet de loi "technique". Il ne l'est plus. Et ce, depuis le 11 janvier 2023, date à laquelle la commission des affaires économiques a augmenté le projet du Gouvernement de plusieurs dispositions placées en tête du texte et destinées à modifier plusieurs objectifs de la politique énergétique nationale. Une modification proposée alors que le débat public relatif à ces objectifs est encore en cours. Il ne s'agit donc plus d'un projet de loi "technique" mais d'un projet de loi "politique" selon les termes du communiqué de presse de la commission des affaires économiques du Sénat. 

Ce projet de loi, s'il était adopté en l'état, serait à l'origine d'un changement important de notre politique énergétique nationale et de la trajectoire qui était celle de l'Etat depuis la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Trajectoire fondée sur une réduction de la part du nucléaire et une augmentation, d'une part des économies d'énergie, d'autre part de la production d'énergies renouvelables. Désormais, la commission des affaires économiques du Sénat propose d'augmenter la part du nucléaire, de renoncer à l'objectif de diversification de la production d'électricité et d'assurer la "décarbonation" notre production et consommation d'énergie. Certes, cet objectif était déjà présent dans le propos - discours de Belfort - du président de la République, mais ne l'était pas encore véritablement et aussi clairement en droit de l'environnement et en droit de l'énergie. 

La suppression de l'objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité. Pour mémoire, l'article 187 de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose que l'un des objectifs de la politique énergétique, définis à l'article L.100-4 du code de l'énergie est le suivant :

"5° De réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2035 ;"

L'article 1er A du projet de loi adopté en commission au Sénat supprime cet objectif.

Le 16 janvier 2023, le Gouvernement a déposé un amendement n°118 qui propose à son tour de supprimer cet objectif de réduction de la part du nucléaire. Toutefois, le Gouvernement défend une méthode de suppression différente. Alors que le Sénat souhaite abroger purement et simplement ce 5° du I de l'article L.100-4 du code de l'énergie, le Gouvernement propose d'en changer la rédaction. Ainsi la nouvelle rédaction du 5° du I de l'article L.100-4 du code de l'énergie serait la suivante, en cas d'adoption de l'amendement du Gouvernement :

"5° De diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables, selon des modalités fixées en application de l'article L. 100-1 A ;"

Pour rappel, l'article L.100-1 A du code de l'énergie est relatif à la future loi de programmation pluriannuelle de l'énergie.

La suppression du plafond de capacité totale autorisée à 63,2 gigawatts. L'article 187 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé à 63,2 gigawatts le seuil de capacité totale autorisation de production autorisée d'origine nucléaire. Aucune aucune autorisation d'exploiter (au titre de l'article L.311-1 du code de l'énergie) ayant pour effet de modifier ce seuil ne peut être délivrée par l'autorité administrative. L'article L.311-5-5 du code de l'énergie dispose aujourd'hui :

"L'autorisation mentionnée à l'article L.311-1 ne peut être délivrée lorsqu'elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d'électricité d'origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts.

L'autorité administrative, pour apprécier la capacité totale autorisée, prend en compte les abrogations prononcées par décret à la demande du titulaire d'une autorisation, y compris si celle-ci résulte de l'application du second alinéa de l'article L.311-6."

L'article 1er A (alinéa 6) du projet de loi adopté en commission au Séant supprime cet article L.311-5-5 du code de l'énergie. 

Par un amendement n°118 déposé le 16 janvier 2023, le Gouvernement a proposé de supprimer les alinéas 2 à 5 de l'article 1er A mais pas l'alinéa 6, lequel est donc conservé. Ainsi, avec l'accord du Gouvernement, les sénateurs seront saisis en séance du texte de la commission qui prévoit toujours de supprimer cet article L.311-5-5 du code de l'énergie.

La définition des nouveaux objectifs de production d'électricité d'origine nucléaire. L'article 1er B du projet de loi insère les trois nouveaux objectifs suivants de la politique énergétique nationale, à l'article L.100-4 du code de l'énergie. Le premier de ces objectifs permet de passer du principe d'un plafond à celui d'un plancher pour la production d'énergie nucléaire. Il ne s'agit plus de réduire celle-ci à 50% mais de garantir qu'elle ne représentera pas moins, dans la production d'électricité. Il y a aujourd'hui un maximun, il pourrait demain ne plus avoir qu'un minimun :

"5° bis De maintenir la part du nucléaire dans la production d'électricité à plus de 50 % à l'horizon 2050 ;
5° ter De décarboner le mix électrique, à hauteur de 100 %, ainsi que le mix énergétique, à hauteur de 50 %, à l'horizon 2030 ;
5° quater De recourir à une part de matières recyclées dans la production d'électricité d'origine nucléaire, à hauteur de 20 % à l'horizon 2030; 
"

On notera dés à présent la référence au verbe "décarboner" au 5° ter.

De la diversification à la décarbonation du mix de production d'électricité. Comme cela vient d'être précisé, au-delà de la question de l'énergie nucléaire, ce projet de loi contribue à renforcer la place de ce verbe mais aussi d'expression comme "bas carbone". L'article 1er C du projet de loi prévoit de modifier la  l'article L100-1 A qui serait ainsi rédigé :

"I.-Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique.
Chaque loi prévue au premier alinéa du présent I précise :
(..)  4° Les objectifs de diversification décarbonation du mix de production d'électricité, pour deux périodes successives de cinq ans
"

Alors que l'objectif de "diversification" accompagnait celui de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité, l'objectif de décarbonation accompagne celui d'augmentation de cette part du nucléaire qui peut donc, de nouveau, en droit, occuper être prépondérante par rapport aux autres sources de production d'électricité. Cet abandon de l'objectif de diversification est un changement majeur parmi les objectifs de la politique énergétique nationale, à traduire au sein de la future loi de programmation pluriannuelle de l'énergie.

Par ailleurs, ce même article 1er C précise bien que cet objectif de décarbonation suppose la construction de réacteurs nucléaires :

"Pour l'électricité d'origine nucléaire, l'objectif de décarbonation porte sur la construction de réacteurs pressurisés européens et de petits réacteurs modulaires à l'horizon 2050. Sont précisés les modes de financement, les moyens en termes de métiers et de compétences, l'effort de recherche et d'innovation en direction de la fermeture du cycle du combustible, les moyens en termes de sûreté et de sécurité nucléaires ainsi que, le cas échéant, le dimensionnement des installations de retraitement-recyclage et de stockage des déchets requis ;"
S'agissant du nombre de réacteurs à construire, l'article 1er D comporte un chiffre : 14. Chiffre qui appelle un rapport préalable à la présentation de la future loi de programmation pluriannuelle de l'énergie : 

"D'ici le dépôt du projet de loi prévu en application du I de l'article L. 100-1 A du code de l'énergie, le Gouvernement remet au Parlement un rapport visant à évaluer l'impact de la construction de quatorze réacteurs pressurisés européens" (nous soulignons).

La mise en conformité de la programmation pluriannuelle de l'énergie. A l'origine ce projet de loi devait constituer un texte "technique". Si la version de la commission des affaires économiques du Sénat est conservée dans la suite des débats parlementaires, il sera indispensable de modifier l'actuelle programmation pluriannuelle de l'énergie. Ce que prévoit l'article 1er A nouveau du projet de loi  : 

"2° Le troisième alinéa du III de l'article L. 141-4 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Par dérogation, dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi n° du relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, la programmation pluriannuelle de l'énergie fait l'objet d'une révision simplifiée destinée à la mettre en conformité avec les constructions de réacteurs électronucléaires ou leurs prolongations, poursuivies notamment par cette loi."

On soulignera que la modification pourra être opérée au moyen d'une procédure de révision simplifiée. Pourtant, il s'agit bien de passer d'un objectif de 12 fermetures de réacteurs à 14 ouvertures, ce qui semble substantiel.

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne


A lire également : 

Note du 26 septembre 2022 - Présentation de l'avant-projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires

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