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Préjudice écologique : les espèces et habitats protégés n'ont pas de valeur vénale (Cour de cassation, 26 mars 2024, n° 23-81.410)

Tortue-dHermann-Var

Par une décision n°23-81.410 rendue ce 26 mars 2024, la Cour de cassation a apporté d'importantes précisions sur les conditions de réparation du préjudice écologique. La décision conforme une convergence intéressante entre le régime de réparation du préjudice écologique organisé par le code civil et le régime de réparation du dommage environnemental organisé par le code de l'environnement. Elle souligne également que le montant de la réparation du préjudice écologique ne peut pas être calculé en fonction de la valeur vénale d'espèces et habitats protégés qui ne peuvent pas être commercialisés. Analyse. 

Résumé

1. Par une décision en date du 26 mars 2024, la Cour de cassation a, notamment, confirmé la condamnation d'une société et de deux de ses dirigeants à la réparation du préjudice écologique consécutif à la destruction d'espèces protégées (tortue d'Hermann et lézard vert) et de leurs habitats. 

2. La Cour de cassation a confirmé l'impossibilité d'une réparation en nature de ce préjudice écologique et d'une estimation de la perte de valeur de ces espèces, celles-ci ne pouvant pas être commercialisées. 

3. La Cour de cassation la régularité d'une réparation définie sur le fondement des dispositions de l'article L.162-9 du code de l'environnement, lequel prévoit une réparation primaire, complémentaire ou compensatoire. Au cas d'espèce, le montant de cette réparation correspond aux "dépenses nécessaires aux mesures propres à réparer le préjudice écologique, consistant en la remise en état de l'écosystème de l'habitat protégé d'une espèce protégée". Ces dépenses seront estimées en fonction, principalement, du coût de réintroduction des tortues dans leur milieu.

Commentaire

I. Les faits et la procédure

Des agents de la réserve naturelle nationale de X ont constaté que des travaux avaient été réalisés et des arbres abattus sur des parcelles, appartenant à la société X, situées dans une zone Natura 2000 et d'habitat protégé de la tortue d'Hermann. La société, son directeur d'exploitation, et son directeur général délégué, M. [T] [F], ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel de Draguignan, notamment pour atteinte à l'habitat, destructions d'espèces protégées et déforestation.

26 septembre 2021 : le tribunal correctionnel de Draguignan les a déclarés coupables de ces faits, les a condamné à des amendes pour divers délits et à la réparation du préjudice écologique consécutif à la destruction d'espèces protégées (des tortues d'Hermann et un lézard vert) et de leurs habitats. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

23 janvier 2023 : la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté l'appel et confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Draguignan.

26 mars 2024 : la Cour de cassation a écarté le septième moyen du pourvoi, lequel critiquait l'arrêt du 23 janvier 2023 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a condamné solidairement les trois prévenus à payer à l'Etat une somme de 184 752,40 euros en réparation du préjudice écologique, cette somme étant affectée à la réparation de l'environnement.

II. La réparation du préjudice écologique ne peut être évaluée en fonction de la valeur vénale d'espèces et habitats protégés

Aux termes de la décision ici commentée, la Cour de cassation a 

- d'une part, confirmé l'analyse des faits et du fait générateur de responsabilité par les juges de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui ont exactement procédé à la qualification d'"atteinte non négligeable".

- d'autre part, confirmé l'évaluation du préjudice écologoque.

A. Sur le fait générateur de responsabilité

Sur ce point, la Cour de cassation a intégralement confirmé l'appréciation des faits telle que réalisée par les juges de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Pour la Cour de cassation, le pourvoi ne comportait aucun moyen ou production de nature à infirmer cette analyse. 

En premier lieu, ces juges ont relevé à bon droit que les espèces et habitats détruits étaient protégés :

"8. Pour condamner les prévenus à payer à l'Etat la somme de 184 752,40 euros en réparation du préjudice écologique, l'arrêt attaqué énonce que la tortue d'Hermann est une espèce menacée, classée comme vulnérable, et que le lézard vert est une espèce protégée."

En deuxième lieu, les juges de la Cour d'appel ont relevé une destruction et des habitats et de spécimens de ces espèces protégées :

"9. Les juges retiennent que d'importants travaux de labourage et d'arrachage de nombreux arbres réalisés avec des engins de chantier ont provoqué un bouleversement de l'habitat de la tortue d'Hermann sur une surface de plus de cinq hectares et la mort de deux de ces tortues et d'un lézard vert, et qu'il faudra nécessairement des années avant que l'habitat retrouve son état d'origine.

En troisième lieu, les juges du fond ont qualifié correctement cette atteinte de "non négligeable", ce qui permettait d'identifier le fait générateur de responsabilité au titre de préjudice écologique. Ils ont également identifié un préjudice écologique né "de la destruction de tortutes sauvages vivant en liberté dans des espaces protégés" :

"10. Ils en déduisent que l'atteinte portée à l'écosystème d'une zone de sensibilité majeure pour la tortue d'Hermann peut être qualifiée de non négligeable et que le préjudice écologique naît de la destruction de tortues sauvages vivant en liberté dans des espaces protégés."

B. Sur la réparation du préjudice écologique

Il s'agit bien entendu du point le plus intéressant de cette décision de la Cour de cassation. Son point 16 est ainsi rédigé : 

"16. En effet, aucune remise en état n'ayant été proposée par les parties, elle a souverainement évalué les dépenses nécessaires aux mesures propres à réparer le préjudice écologique, consistant en la remise en état de l'écosystème de l'habitat protégé d'une espèce protégée, à laquelle, selon les termes de l'article L. 162-9 du code de l'environnement, s'agissant d'animaux hors du commerce, aucune valeur vénale ne peut être affectée."

Cette analyse appelle les observations suivantes. 

1. La convergence des régimes de réparation des dommages causés à l'environnement et du préjudice écologique

En premier lieu, la Cour de cassation opère ici un rapprochement remarquable entre le régime de réparation du dommage causé à l'environnement organisé aux articles L.162-1 et suivants du code de l'environnement) et le régime de réparation du préjudice écologique organisé aux articles 1246 et suivants du code civil. 

Aux termes de ce point 16 de sa décision rendue ce 26 mars 2024, la Cour de cassation a en effet contrôlé la régularité de l'évaluation du montant de la réparation du préjudice écologique (article 1246 du code civil) par référence aux dispositions de l'article L.162-9 du code de l'environnement (mesures de réparation des dommages causés à l'environnement). La convergence de ces deux régimes de responsabilité est certainement souhaitable et source de simplification du droit.

Il ne s'agit toutefois pas d'une première. 

Avant la création du régime de réparation du préjudice écologique au sein des articles 1246 et suivants du code civil par la loi XX, la Cour de cassation a jugé, aux termes d'une décision du 22 mars 2016 (affaire de la raffinerie de Donges) que la réparation du préjudice écologique peut être assurée selon les dispositions de l'article L.162-9 et/ou au moyen d'une "indemnisation de droit commun" : 

"Attendu que, d'une part, le préjudice écologique consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ; que la remise en état prévue par l'article L.162-9 du code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l'article L. 142-2 du même code" (cf. Cour de cassation, crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650).

Aux termes d'une décision rendue le 4 avril 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a également confirmé l'arrêt par lequel la cour d'appel de Rennes a condamné les auteurs d'une capture et d'une vente d'une espèce protégée à - notamment - la réparation du préjudice écologique, évaluée sur le fondement des dispositions de l'article L.162-9 du code de l'environnement. On notera que cette évaluation a été notamment opérée en tenant compte du prix de transaction au kilo de l'espèce protégée capturée :

"17. Pour évaluer le montant du préjudice écologique et condamner solidairement M. [H] à payer à ce titre diverses sommes, l'arrêt attaqué, après avoir constaté l'impossibilité d'une réparation en nature, énonce qu'il doit intégrer la disparition de quantités importantes de civelles dont la pêche n'avait pas été autorisée, également l'atteinte à la rigueur scientifique du calcul des quotas de pêche autorisée pour avoir faussé la méthode de calcul des populations de civelles, aussi celle portée aux mesures de protection et de repeuplement mises en œuvre par les associations et la perte temporelle de ressources qui auraient pu être affectées à la pêche ou au repeuplement.

18. Les juges retiennent, d'une part, que le préjudice correspondant à la disparition de la ressource doit être calculé en multipliant le poids de civelles illégalement capturées par le coût de leur transaction au kilo.

19. Ils estiment, d'autre part, que le préjudice d'atteinte aux dispositions de protection de l'espèce et à la juste évaluation de la population de civelles peut être fixé à la somme de 50 000 euros.

20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du préjudice écologique dont elle a retenu l'existence et dès lors que M. [H] n'a sollicité aucune expertise et ne s'est prévalu d'aucune autre méthode précise de calcul, n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans les limites des conclusions des parties, celle qui lui a paru la plus adaptée pour évaluer l'indemnité propre à le réparer. (..)" (cf. Cour de cassation, crim., 4 avril 2023, n° 22-82.999)

2. Les conditions de réparation du préjudice écologique

Pour mémoire, l'article 1249 du code civil dispose que la réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature. Lorsque cela s'avère impossible, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'Etat.

Pour identifier les mesures de "réparation de l'environnement", la Cour de cassation s'est fondée sur les dispositions de l'article L.162-9 du code de l'environnement. Cet article distingue trois catégories de mesures de réparation : primaire, complémentaire et, compensatoire. La réparation compensatoire ne peut toutefois pas se traduire par une compensation financière.

Aux termes de la décision ici commentée, la Cour de cassation a, d'une part relevé que la réparation en nature est impossible, d'autre part confirmé que l'évaluation du montant de la réparation du préjudice écologique - exigible lorsqu'une réparation en nature est jugée impossible - ne peut être fonction de la valeur vénale des espèces détruites. Cela, pour deux motifs : ces espèces ne peuvent pas être commercialisées et l'article L.162-9 du code de l'environnement ne prévoit pas une telle estimation financière. Ce faisant, cette jurisprudence de la Cour de cassation devrait, à la suite du choix opéré par le législateur en 2016, rassurer les personnes inquiètes d'une possible "financiarisation de la nature".

Au cas d'espèce, la réparation du préjudice écologique ne pouvant ni être réalisée en nature, ni par référence à la valeur vénale des espèces détruites, la Cour de cassation va confirmer le choix de la Cour de se référer au coût de réintroduction de l'espèce correspondant à une mesure de remise en état. Aussi, la Cour de cassation confirme l'analyse de la Cour d'appel selon laquelle il convient d'évaluer le montant "des dépenses nécessaires aux mesures propres à réparer le préjudice écologique, consistant en la remise en état de l'écosystème de l'habitat protégé d'une espèce protégée". Ce montant sera fonction du coût de réintroduction desdites espèces multiplié par le nombre d'individus concernés. Sur ce point, il convient de souligner que la Cour de cassation, à la suite de la Cour d'appel, fait référence au "nombre de tortues concernées" et non au nombre de tortues effectivement retrouvées mortes, écartant ici l'un des griefs des auteurs du pourvoi. 

III. Le rappel du droit positif et de la jurisprudence relatifs à la réparation du préjudice écologique

Pour mémoire, il est utile de rappeler quelles sont les règles de droit et principaux éléments de la jurisprudence relatifs à la réparation du préjudice écologique.

A. Le droit positif relatif à la réparation du préjudice écologique

Pour mémoire, aux termes de l'article 1246 du code civil, dans sa rédaction issue de l'article art. 4-VI de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : "Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer." Le préjudice écologique est défini comme suit à l'article 1247 du même code :"Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement." 

Le préjudice écologique correspond donc à deux types d'atteintes : une "atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes » (préjudice écologique pur) ou une atteinte "aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement". L'article 1248 du code civil précise que l'action en réparation est ouverte « à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'État, l'Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement".

L'article 4 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 dispose que le recours en réparation du préjudice écologique est irrecevable lorsque le préjudice a donné lieu à une « action en justice » introduite avant le 1er octobre 2016 :

"VIII. - Les articles 1246 à 1252 et 2226-1 du code civil, dans leur rédaction résultant du VI du présent article, sont applicables à la réparation des préjudices dont le fait générateur est antérieur au 1er octobre 2016. Ils ne sont pas applicables aux préjudices ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette date".

B. La jurisprudence judiciaire relative à la réparation du préjudice écologique

Cour d'appel de Nouméa, 25 février 2014, n°11/00187 (pollution du lagon de la Nouvelle-Calédonie par un déversement d'acide de l'usine de traitement de nickel de la Société V. détruisant un grand nombre de poissons) : 

"Qu'en l'espèce, il n'est pas contestable que la pollution a porté une atteinte aux eaux, aux milieux aquatiques et à leurs fonctions, de façon massive, même si elle a été passagère selon la société V., qui insiste sur la reconstitution de la vie aquatique dans la zone impactée pour en déduire que n'existerait aucun préjudice, du seul fait de l'absence de conséquences durables ou irréversibles ; Attendu qu'il résulte des pièces produites la preuve d'une atteinte grave affectant les eaux et milieux aquatiques, leur état et leur potentiel écologique, leurs qualités et leurs fonctions écologiques ; que ces atteintes ont nécessairement pris la forme de perturbations biologiques, physiques ou chimiques, certes limitée dans le temps, la pollution ayant eu un impact ponctuel ;
Attendu qu'il en est résulté, aussi, une atteinte aux espèces et à leurs fonctions c'est-à-dire des atteintes portées aux espèces de faune et de flore, qu'elles appartiennent ou non à la catégorie d'espèces protégées, ainsi qu'à leurs fonctions écologiques ;
Qu'en effet, la pollution a détruit dans la zone du creek de la Baie nord toute vie aquatique, ainsi que le reconnaît l'industriel, qui indique en se fondant sur des rapports que cette vie aquatique s'est ensuite rapidement reconstituée ; qu'il n'en demeure pas moins qu'il en est résulté une destruction des espèces vivantes et la dégradation d'un habitat et même d'un «écosystème», c'est à dire des complexes dynamiques formés de communautés de plantes, d'animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment des unités fonctionnelles ;
Qu'il s'en déduit, qu'il y a bien eu, en l'espèce, une atteinte aux fonctions écologiques, lesquelles s'entendent des interactions entre les éléments et les processus biologiques et biophysiques qui permettent le maintien et le fonctionnement des écosystèmes ;
Attendu que la société V. admet un impact important mais de courte durée sur une surface d'environ 2 ha ; que le dommage, même s'il n'a pas été irréversible, a été grave ; qu'ainsi se trouve admis dans les propres écritures de l'industriel, et établi par les rapports produits, l'existence d'un préjudice grave causé à l'environnement ou préjudice écologique pur limité dans le temps comme dans l'espace, mais qui n'en est pas moins indemnisable ;
Que la Cour dispose des éléments suffisants pour évaluer ce préjudice, sans avoir recours à l'expertise sollicitée par les associations ;
Que ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une indemnité globale de 10 millions de Francs CFP que l'industriel sera condamné à verser aux associations concernées"

Cour de cassation. crim. 22 mars 2016, n° 13-87.650 (pollution au fuel dans l'estuaire de la Loire, intervenue le 16 mars 2008 et occasionnée par une rupture de tuyauterie de la raffinerie de Donges exploitée par la société Total Raffinage) : 

"Vu les articles 1382 du code civil, L. 142-2 du code de l'environnement et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 161-1 et L. 162-9 du code de l'environnement ; Attendu que, d'une part, le préjudice écologique consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ; que la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l'article L. 142-2 du même code ;[…] Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'une pollution au fuel dans l'estuaire de la Loire, intervenue le 16 mars 2008 et occasionnée par une rupture de tuyauterie de la raffinerie de Donges, exploitée par la société Total raffinage marketing, cette dernière, reconnue coupable de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances entraînant des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune ou à la flore, a été condamnée à indemniser diverses collectivités territoriales et associations de leurs préjudices ; que l'association Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a interjeté appel ; Attendu qu'après avoir implicitement reconnu l'existence d'un préjudice écologique, la cour d'appel, pour débouter la LPO de sa demande d'indemnisation, retient que celle-ci l'a d'abord chiffrée sur la base d'une estimation, par espèces, du nombre d'oiseaux détruits alors que cette destruction n'est pas prouvée ; que les juges ajoutent qu'en évaluant ensuite son préjudice sur la base de son budget annuel de la gestion de la baie de l'Aiguillon, la partie civile confond son préjudice personnel et le préjudice écologique, ses frais de fonctionnement n'ayant pas de lien direct avec les dommages causés à l'environnement ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs pris de l'insuffisance ou de l'inadaptation du mode d'évaluation proposé par la LPO alors qu'il lui incombait de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l'existence, et consistant en l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision"

Cour d'appel de Rennes, corr., 9 décembre 2016, n° 202/2016. La Cour d'appel de Rennes a retenu ici l'existence d'un préjudice écologique pur qui s'est traduit par des pertes concrètes : 

"Considérant que le préjudice écologique «pur» est l'atteinte non négligeable directe ou indirecte à l'environnement naturel, l'eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l'interaction de ces éléments à l'écosystème ; qu'en l'espèce, il s'agit de l'atteinte aux oiseaux, à leur habitat, à leur nourriture, se traduisant par la mort de certains oiseaux, leur désertion temporaire des sites pollués pendant deux ans".

Cour de cassation. crim. 28 mai 2019 n° 18-83.290 (loi Biodiversité inapplicable à une action en justice introduite antérieurement) : 

"Attendu qu'en allouant à la fédération Sepanso une somme au titre du préjudice "environnemental" résultant de l'atteinte directement portée par l'infraction au milieu aquatique et marécageux, et dès lors qu'un préjudice écologique, consistant en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction était déjà reconnu par la jurisprudence antérieurement à la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 (Crim., 25 septembre 2012, no 10-82.938, Bull., no 198), qui l'a consacré de sorte que l'article 4, VIII, de cette loi doit être interprété non pas comme interdisant la réparation du préjudice écologique lorsque l'action civile a été engagée avant l'entrée en vigueur de ce texte mais comme dispensant cette action du respect du formalisme prescrit par les dispositions, créées par la loi précitée la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, lequel doit être écarté"

Tribunal correctionnel de Marseille, 6 mars 2020, n°18330000441 (Parc National des Calanques : activités de pêches illégales pendant plusieurs années entrainant le pillage de 4,6 tonnes de poissons, de poulpes et d'oursins dans des eaux interdites à la pêche au sein du Parc national des Calanques - Préjudice écologique causé à l'écosystème des calanques Condamnation évalué à 350.060€) : 

"S'agissant des délits commis par les défendeurs au préjudice de l'écosystème en cause, il importe de souligner qu'ils ressortent d'actions, certes individuelles, mais intenses, concertées, et prolongées pendant plusieurs années.
Mais surtout, alors que l'intérêt général commandait, pour assurer la préservation d'un milieu manifestement menacé, de prendre des mesures d'interdiction de pêche de certaines espèces et de création d'un parc national, les prévenus se sont précisément attaqués, en priorité, aux espèces et zones qui, du fait même de leurs fragilités et de leurs intérêts pour l'ensemble de l'écosystème des calanques, avaient rendu nécessaires les mesures de protection bafouées. Les prohibitions pénales destinées à dissuader chacun de commettre de telles atteintes caractérisent, là encore leur gravité. En raison même de sa nature […] l'atteinte ainsi portée ne saurait être regardée autrement que comme non-négligeable".

Cour de cassation. crim., 10 nov. 2020, n° 20-82.245 (transmission d'une QPC – conformité à la charte de l'environnement de la limitation du droit à réparation du préjudice écologique) : 

"L'article 1247 du Code civil qui limite le préjudice écologique réparable à « l'atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » est-il contraire aux articles 3 et 4 de la charte de l'environnement à valeur constitutionnelle, selon lesquels toute personne doit prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de causer à l'environnement, en limiter les conséquences et contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, sans poser aucune limitation concernant la gravité du préjudice ? »
2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
3. La limitation du droit à réparation au seul préjudice consistant en une atteinte non négligeable à l'environnement présente, compte tenu de la place croissante qu'occupent les questions relatives aux atteintes portées à l'environnement dans le débat public, un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine.
4. Il y a donc lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel".

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne
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