I. Rappel de l'histoire de la mesure relative à l'intérêt public majeur des projets de production d'énergies renouvelables
Pour mémoire, l'article 6 de l'avant- projet de loi élaboré par le Gouvernement comportait déjà une mesure de simplification de la procédure "dérogation espèces protégées". Mesure qui prévoyait que les installations de production d'énergies renouvelables sont présumées répondre à une "raison impérative d'intérêt public majeur". Il s'agit de l'une des trois conditions que doit remplir un projet pour pouvoir bénéficier d'une dérogation à l'interdiction de destructions d'espèces protégées.
En première lecture, le Sénat a voté une rédaction de ce projet de loi dont l'article 4 comporte cette mesure de simplification ainsi qu'une définition des "conditions techniques auxquelles doivent satisfaire lesdites installations
Plus précisément, cet article 4 prévoit d'insérer un nouvel article L. 211‑2‑1 au sein du code de l'énergie. Aux termes de cet article, les projets EnR seront présumés, à certaines conditions, satisfaire à l'une des conditions de délivrance d'une "dérogation espèces protégées", à savoir la "raison impérative d'intérêt public majeur". Pour bénéficier de cette "présomption", le projet devra répondre à "des conditions techniques, notamment, en ce qui concerne leur puissance et le type de source renouvelable". Ces conditions seront fixées par décret en Conseil d'Etat et tiendront compte de la programmation pluriannuelle de l'énergie.
En première lecture et en commission, les députés de plusieurs groupes ont voté la suppression de cet article 4. En vue de la discussion en séance publique, le Gouvernement vient de déposer un amendement qui réintroduit cette mesure.
II. Le contenu de l'amendement n°2738 du Gouvernement
Cet amendement n°2738 peut être consulté ici. S'il est adopté en séance publique par les députés puis conservé dans la loi à venir, les installations de production, de stockage et de distribution d'énergies renouvelables seront présumées répondre à une "raison impérative d'intérêt public majeur" sous réserve qu'elles satisfassent à des "conditions techniques" définies par décret en Conseil d'Etat.
Dans le détail, cet amendement Il prévoit d'insérer au sein du code de l'énergie, un nouvel article L.211-2-1 qui serait ainsi rédigé :
"Art. L. 211‑2‑1. – Les projets d'installations de production ou de stockage d'énergie renouvelable, au sens de l'article L. 211‑2, de gaz bas carbone, au sens de l'article L. 447‑1 ou d'hydrogène renouvelable ou bas carbone mentionnés à l'article L. 811‑1, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d'énergie, sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411‑2 du code de l'environnement, dès lors qu'ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d'État.
"Ces conditions sont fixées, notamment selon le type de source renouvelable, la puissance prévisionnelle totale de l'installation projetée, et la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés aux 1° et 2° du présent article, compte tenu :
"1° Pour le territoire métropolitain, de la programmation pluriannuelle de l'énergie mentionnée à l'article L. 141‑2, en particulier des mesures et dispositions du volet relatif à la sécurité d'approvisionnement et des objectifs quantitatifs du volet relatif au développement de l'exploitation des énergies renouvelables, mentionnés aux 1° , 3° et 4° du même article L. 141‑2 ;
"2° Pour le territoire de chacune des collectivités mentionnées à l'article L. 141‑5, de la programmation pluriannuelle de l'énergie qui lui est propre, en particulier des volets relatifs à la sécurité d'approvisionnement en électricité, au soutien des énergies renouvelables et de récupération et au développement équilibré des énergies renouvelables et de leurs objectifs mentionnés aux 2° , 4° et 5° du II du même article L. 141‑5 et après avis de l'organe délibérant de la collectivité.
"Ces conditions peuvent également prendre en compte la zone d'implantation géographique des projets"
L'amendement n°2738 prévoit également d'insérer un nouvel article L.411-2-1 au sein du code de l'environnement, ainsi rédigé :
"II. – Après l'article L. 411‑2 du code de l'environnement, il est inséré un article L. 411‑2‑1 ainsi rédigé :
"Art. L. 411‑2‑1. – Sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411‑2, les projets d'installations de production d'énergie renouvelable satisfaisant aux conditions prévues par l'article L. 211‑2‑1 du code de l'énergie."
Si ces dispositions sont définitivement adoptées, la procédure d'octroi de l'autorisation de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces modifiées sera légèrement modifiée. La preuve de la satisfaction de l'une des trois conditions à l'octroi de cette dérogation sera en effet encadrée. Le demandeur de l'autorisation de dérogation, pour démontrer que son projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, devra prouver qu'il respecte les "conditions techniques" établies par un décret en Conseil d'Etat. Le régime de la preuve des autres conditions demeurera inchangé.
Rappelons-le : la mesure de simplification défendue par le Gouvernement n'aura aucune incidence sur le respect de l'impératif de préservation et d'amélioration de la biodiversité.
III. Commentaire de l'amendement n°2738
A notre sens, l'opposition de certains députés, en commission, à cette mesure de simplification n'est pas fondée. Pour les raisons suivantes.
En premier lieu, cette mesure défendue par le Gouvernement n'est qu'une demi mesure de simplification, laquelle ne comporte aucun risque d'atteinte à la préservation de la biodiversité.
- Cette mesure ne simplifie pas le régime de la preuve des conditions à satisfaire pour déclencher l'obligation de dépôt de demande d"une dérogation mais uniquement les conditions d'octroi de la dérogation elle-même. Il est regrettable que la question de la demande de dérogation soit si souvent confondue avec la question de l'octroi de la dérogation.
- Cette mesure simplifie légèrement le régime de la preuve d'une seul des trois conditions d'octroi de la dérogation espèces protégées. Si cette mesure est adoptée, elle ne permettra de ne simplifier que la preuve de l'une des trois conditions à rapporter pour pouvoir bénéficier d'un dérogation espèces protégées. Le porteur de projet devra toujours démontrer que son projet satisfait aux autres conditions, inchangées, d'octroi de la dérogation : preuve de l'absence de solution alternative satisfaisante, preuve du maintien dans un état de conservation favorable des espèces concernées.
- Cette mesure est en retrait des projets de textes qui sont en cours de discussion au sein des institutions de l'Union européenne. D'une part, la Commission européenne, dans le cadre de son plan "REpowerEU" a présenté une proposition de directive qui prévoit une présomption sans conditions du caractère d'intérêt public majeur" des projets de production, de stockage et de distribution d'énergies renouvelables (cf. notre analyse). D'autre part, le Conseil de l'Union européenne a très récemment adopté une proposition de règlement temporaire d'urgence qui tend également à présumer (sans conditions) le caractère d'intérêt public majeur des projets d'énergies renouvelables (cf. notre analyse).
En deuxième lieu, cette mesure sera bientôt inscrite en droit de l'Union européenne et s'imposera donc en droit interne.
Le refus du Parlement français de voter une mesure de simplification de la procédure "dérogation espèces protégées" sera de peu d'effets. Comme cela vient d'être précisé, deux textes seront bientôt publiés en droit de l'Union européenne qui auront pour effet de créer une présomption du caractère d'intérêt public majeur des projets de production, de stockage et de distribution d'énergies renouvelables
En conséquence, une nouvelle directive et un nouveau règlement temporaire d'urgence vont très prochainement introduire cette présomption du caractère d'intérêt public majeur des projets précités, en droit de l'Union européenne et donc en droit interne.
Dans ce contexte, le Parlement français s'honorerait à ne pas contrecarrer la mise en œuvre d'une politique publique européenne mais à l'accompagner. Il n'y a en effet aucune raison d'opposer ainsi l'impératif de production d'énergies renouvelables à l'impératif de préservation et d'amélioration de la biodiversité.
Arnaud Gossement
Avocat associé
Professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne
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