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Contentieux administratif : le juge administratif doit "danthonyser" avant de régulariser (Conseil d'État, 1er mars 2023, n°458933 et loi d'accélération des énergies renouvelables)

Conseil-dEtat-Fotolia
Par une décision n°458933 du 1er mars 2023, le Conseil d'Etat a précisé que le juge administratif est tenu de statuer sur une demande de régularisation d'un vice affectant la légalité d'une décision d'autorisation environnementale. Une décision à rapprocher de l'article 23 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelable qui tend à rendre plus systématique l'engagement de cette procédure de régularisation. Commentaire.
Introduction

La procédure de régularisation décrite à l'article L.181-18 du code de l'environnement vient de faire l'objet, d'une part d'une précision importante de la part du Conseil d'Etat, d'autre part d'une modification issue de l'article 23 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. 

Par une décision
L'article 23 de la loi  n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables

I. Le juge administratif doit vérifier le caractère substantiel du motif d'illégalité allégué avant d'engager sa régularisation

A. Les faits et la procédure

29 juillet 2019 : arrêté par lequel la préfète de X a délivré à la société X une autorisation environnementale afin de construire et exploiter une installation comprenant six éoliennes sur le territoire de la commune de X.

28 septembre 2021 : arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a:

  • annulé cet arrêté en tant qu'il ne comportait pas la dérogation prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, 
  • suspendu l'exécution de cet arrêté jusqu'à la délivrance de la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. 
  • et sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. A..., jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt, afin de permettre à la société X de notifier à la cour une mesure de régularisation du vice tenant aux insuffisances du volet écologique de l'étude d'impact sur les chiroptères.

B. Sur l'obligation pour le juge administratif de vérifier au préalable le caractère substantiel du motif d'illégalité identifié

Le premier intérêt de la décision rendue ce 1er mars 2023 par le Conseil d'Etat tient à ce que la Haute juridiction précise que le juge doit, au moment de décider d'une mesure de régularisation du vice de procédure tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact, "rechercher au préalable si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative". En résumé : le motif d'illégalité allégué doit être "danthonysé" avant, le cas échéant, d'être régularisé :

"Sur l'arrêt en tant qu'il sursoit à statuer dans l'attente d'une mesure de régularisation de l'étude d'impact :

4. Il résulte de ce qui précède qu'en se bornant à relever, d'une part, le caractère insuffisant de l'étude d'impact, au motif que celle-ci reposait sur une mauvaise analyse du nombre et des espèces de chiroptères présentes sur le site à défaut d'écoutes en altitude, d'autre part, la possibilité d'une régularisation par un complément d'étude d'impact et, le cas échéant, une enquête publique complémentaire et une autorisation modificative, pour juger qu'il y avait lieu, en application des dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, d'inviter la société titulaire de l'autorisation à solliciter une telle mesure de régularisation, la cour, qui ne pouvait omettre de rechercher au préalable si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise, a entaché son arrêt d'une erreur de droit."

Au cas d'espèce et pour le Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel s'était bornée à relever la possibilité de procéder à une régularisation au moyen d'un "complément d'étude d'impact" et "le cas échéant" d'une une enquête publique complémentaire et une autorisation modificative. Or, d'autres mesures étaient peut-être nécessaires. Pour vérifier le caractère complet de la mesure de régularisation à venir, la cour aurait donc dû procéder à la recherche suivante : "rechercher au préalable si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise".

Cette recherche peut mener : soit à un "danthonysation" du motif d'illégalité, soit à l'engagement d'une procédure de régularisation

Sur l'obligation pour le juge administratif de statuer sur une demande de sursis à statuer aux fins de régularisation d'une autorisation environnementale. Le deuxième intérêt, à notre sens, de cette décision tient à ce qu'elle précise que le juge du fond est tenu de statuer sur une demande de régularisation fondée sur le 2° du I de l'article L.181-18 du code de l'environnement. Pour mémoire, cette disposition a trait à la possibilité pour le juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d'annulation, le temps d'une procédure de régularisation du motif d'illégalité concerné. 

La décision ici commentée précise : 

"6. La faculté ouverte par les dispositions précitées du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu'il n'est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en œuvre cette faculté, mais il n'y est pas tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. En revanche, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables. Dans cette hypothèse, il ne peut substituer l'annulation partielle prévue au 1° du I du même article à la mesure demandée."

Le point 6 de la décision identifie deux hypothèses.

Hypothèse 1 : le juge administratif n'est pas saisi d'une demande de régularisation. Dans ce cas, il peut engager une procédure de régularisation au titre du 2° du I de l'article L.181-18 du code de l'environnement. Il s'agit ici d'un pouvoir propre du juge qui peut être exercé même sans conclusions en ce sens. Le choix réalisé échappe au contrôle du juge de cassation. 

Hypothèse 2 : le juge administrait n'est pas saisi d'une telle demande. Il est tenu de se prononcer à son endroit. Concrètement, cela signifie que le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, ne peut pas se borner à relever un motif d'illégalité et à prononcer une annulation sur son fondement si le vice est régularisable. Le juge administratif doit donc : vérifier l'existence d'un vice, vérifier si celui-ci est régularisable, dans l'affirmative : surseoir à statuer et engager une procédure de régularisation. 

Ainsi, au cas présent, la cour administrative d'appel avait bien été saisie de conclusions relatives à la régularisation du vice de procédure tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact. Elle avait donc l'obligation de vérifier si ce vice de procédure était ou non régularisable. Ce qu'elle s'est abstenue de faire : 

"7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société X avait demandé à la cour administrative d'appel de surseoir à statuer, en application des dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, pour lui permettre de solliciter la délivrance de la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Dès lors, en prononçant une annulation partielle de l'autorisation en tant qu'elle ne comportait pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, alors qu'elle relevait, en suspendant l'autorisation jusqu'à la délivrance de la dérogation en cause, qu'un tel vice était susceptible d'être régularisé, la cour administrative a entaché son arrêt d'une erreur de droit."

L'arrêt est donc entaché d'une erreur de droit. Il est intéressant de souligner que le vice de procédure en cause tenait au défaut de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées.

II La généralisation de l'obligation de régularisation par le juge administratif, aux termes de l'article 23 de la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables

La solution retenue par le Conseil d'Etat aux termes de sa décision du 1er mars 2023 représente une étape dans l'histoire de cet article L.181-18 du code de l'environnement consacré à la régularisation de l'autorisation environnementale par le juge administratif. L'article 23 de  de la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables en modifie la rédaction de telle sorte que le juge administratif devra plus systématiquement permettre la régularisation de l'autorisation environnementale dont l'annulation est demandée. 

A la suite de l'entrée en vigueur de la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables, l'article L181-18 du code de l'environnement sera ainsi rédigé : 
"I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, même après l'achèvement des travaux :

1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter limite à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander demande à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ;

2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, sursoit à statuer après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.

Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle ou de sursis à statuer est motivé."

Aux termes de ces modifications, le juge administratif saisi d'une demande d'annulation d'une autorisation environnementale : 

doit vérifier l'existence d'un vice susceptible d'affecter la légalité de l'autorisation environnementale entreprise ; 
doit procéder à cette vérification, même après l'achèvement des travaux autorisés par la décision litigieuse ; 

doit distinguer selon le vice affectant la légalité de la décision 


Arnaud Gossement

Avocat

Professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne


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