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Vélo : le Conseil d'Etat consacre une liberté fondamentale et enjoint au Premier ministre de faire cesser la contradiction entre la position du Gouvernement et celles des ministres de l'intérieur et des sports

Par une ordonnance rendue ce 30 avril 2020, le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a, à la demande de la Fédération des usagers de la bicyclette, met à la charge du Premier ministre un devoir de communication pour mettre un terme entre la position de principe du Gouvernement - favorable au vélo - et celle, défavorable, exprimée sur internet, des ministres de l'intérieur et des sports.

Résumé

  • Par un décret (modifié) du 23 mars 2020, le Gouvernement a interdit tout déplacement hors du domicile du 17 mars au 11 mai 2020
  • Par une ordonnance du 30 avril 2020, le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a enjoint le Premier ministre de rendre publique, dans un délai de 24h, la position exprimée à l'audience par son représentant et selon laquelle le vélo est bien admis pour effectuer les déplacements autorisés à titre d'exception par le décret du 23 mars 2020.
  • Cette ordonnance consacre le fait que le droit d'user d'un moyen de locomotion autorisé - comme, ici, le vélo - constitue une liberté fondamentale, celle d'aller et venir.
  • Elle consacre aussi un devoir de communication cohérente et à grande échelle du Gouvernement pour éviter que des contrôles de police ne soient réalisés à partir d'une interprétation fausse du droit applicable.
  • Concrètement, il est autorisé de prendre son vélo pour effectuer un déplacement autorisé au titre de l'article 3 décret (pour faire ses courses, se rendre à son travail...) et, notamment, pour effectuer une activité physique individuelle d'une heure et dans un rayon d'un kilomètre.
  • Cette ordonnance est également très intéressante s'agissant de l'office du juge du référé-liberté

Rappel des fait et de la procédure

- Par un décret (modifié) n° 2020-293 du 23 mars 2020, le Gouvernement a interdit, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile à l'exception des déplacements listés à l'article 3 dudit décret.

- Depuis l'entrée en vigueur de ce décret, le ministère de l'intérieur et plusieurs préfectoraux ont fait savoir, sur leurs sites internet et sur les réseaux sociaux que la pratique du vélo est interdite. Plusieurs cyclistes ont alors été verbalisés et des pistes cyclables ont été fermées.

- Par une requête en référé-liberté, la Fédération française des usagers de la bicyclette. Précisément, la Fédération française des usagers de la bicyclette a demandé au juge des référés du Conseil d'Etat:

1°) d'enjoindre au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre des sports, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de publier, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de la décision, sur leurs sites internet, sur leurs comptes sur réseaux sociaux (Twitter et Facebook) et par voie d'affichage un communiqué autorisant expressément l'utilisation du vélo pour tous les motifs de déplacement indiqués dans l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, en spécifiant clairement que le vélo à titre d'activité physique individuelle, est autorisé, et en retirant toute information contraire ;

2°) d'enjoindre au Préfet de police, au préfet d'Ille-et-Vilaine, au préfet de l'Hérault, au préfet d'Indre-et-Loire, au préfet de Loire-Atlantique, au préfet du Lot-et Garonne, au préfet de Haute-Marne, au préfet du Nord, au préfet des Hauts-de-Seine, au préfet du BasRhin, au préfet d'Occitanie, au préfet de Seine-Saint-Denis, à la police et à la gendarmerie nationales, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de rouvrir, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de la décision, les pistes cyclables fermées sans nécessité stricte et, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures permettant la continuité cyclable;

3°) d'enjoindre au Premier ministre, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'émettre, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de la décision, une circulaire aux détenteurs du pouvoir de police de circulation leur ordonnant de ne fermer les aménagements cyclables qu'en cas de nécessité stricte;

4°) d'enjoindre au Premier ministre, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'émettre, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de la décision, une circulaire à la police et à la gendarmerie nationales, leur ordonnant d'autoriser l'utilisation du vélo pour tous les motifs de déplacement indiqués dans l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

5°) d'enjoindre au ministère public, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de cesser de poursuivre, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de la décision, les verbalisations ayant pour motif l'usage du vélo ;

- Par une ordonnance du 30 avril 2020, le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a fait droit à la première demande et rejeté les autres.

- Par un communiqué de presse diffusé immédiatement après la lecture de l'ordonnance, le Ministère de l'intérieur a indiqué que la pratique du vélo est en effet autorisée mais pas recommandée.

I. Sur les modes de déplacement autorisés au titre de l'article 3 du décret du 23 mars 2020

L'ordonnance ici commentée procède à une présentation du cadre juridique en général et de l'article 3 du décret (modifié) du 23 mars 2020. Le juge des référés souligne que l'usage du vélo est autorisé pour effectuer les déplacements autorisés à titre d'exception par le décret du 23 mars 2020 :

"4. Sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, l'article 3 du décret du 23 mars 2013 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, modifié et complété à plusieurs reprises, interdit, en dernier lieu jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile, à l'exception de certains déplacements obéissant aux motifs qu'il énumère. Au nombre de ceux-ci figurent notamment, au 5° de cet article, les « déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ». Il résulte des termes mêmes de cet article 3 que l'usage, pour un déplacement qu'il autorise, d'un moyen de déplacement particulier, notamment d'une bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l'interdiction qu'il édicte." (nous soulignons)"

Concrètement, l'usage du vélo est légal pour effectuer l'un des huit déplacements autorisés à titre d'exception par l'article 3 du décret du 23 mars 2020.

II. Sur la contradiction entre la position de principe de l'Etat et celle diffusée sur internet

L'ordonnance souligne la contradiction entre, d'une part la position de principe de l'Etat selon laquelle le vélo est un mode de déplacement autorisé et, d'autre part, la position exprimée par d'autres autorités (ministres de l'intérieur et des sports et certains préfets) sur internet.

La position de principe de l'Etat est ainsi présentée par le juge des référés du Conseil d'Etat. En résumé : l'usage du vélo est admis pour effectuer l'un des déplacements autorisés en période de confinement :

"6. Il résulte de l'instruction, notamment de l'information apportée, au cours de l'audience publique, par le représentant du ministre de l'intérieur, quant à l'existence et au contenu d'un relevé de décision du 24 avril 2020 de la cellule interministérielle de crise placée auprès du Premier ministre, que l'interprétation des dispositions de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 retenue par le gouvernement et devant être diffusée à l'ensemble des agents chargés de leur application est, en premier lieu que « ne sont réglementés que les motifs de déplacement et non les moyens de ces déplacements qui restent libres. La bicyclette est donc autorisée à ce titre comme tout autre moyen de déplacement, et quel que soit le motif du déplacement », en deuxième lieu que « les verbalisations résultant de la seule utilisation d'une bicyclette, à l'occasion d'un déplacement autorisé, sont injustifiées » et, en troisième lieu, que les restrictions de temps et de distance imposées par les dispositions du 5° de l'article 3 privent en principe d'intérêt l'usage de la bicyclette pour un déplacement exclusivement motivé par l'activité physique individuelle et que, dans un tel cas, le risque plus important de commission d'une infraction liée au dépassement de la distance autorisée doit conduire, tout en en rappelant la possibilité juridique d'utiliser la bicyclette pour tout motif de déplacement, à « en dissuader l'usage au titre de l'activité physique ».

La position exprimée sur internet par les ministres de l'intérieur, des sports et plusieurs préfets. L'ordonnance met en évidence une contradiction entre cette position de principe de l'Etat - favorable au vélo - et celle diffusée sur internet et les réseaux sociaux par des représentants de l'Etat :

"7. Toutefois, il résulte également de l'instruction que, malgré l'existence de cette position de principe, dont la légalité n'est pas contestée par la fédération requérante, plusieurs autorités de l'Etat continuent de diffuser sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des « foires aux questions », l'information selon laquelle la pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l'activité physique individuelle « à l'exception des promenades pour aérer les enfants où il est toléré que ceux-ci se déplacent à vélo, si l'adulte accompagnant est à pied », ainsi qu'un pictogramme exprimant cette même interdiction."

On soulignera que le juge des référés ne s'attache pas à la question de savoir si ces autorités ont ou non illégalement produit des règles de droit sur leurs sites internet. C'est bien la diffusion d'une information fausse qui est ici mise en cause.

III. La liberté d'aller et venir...en vélo

Pour qu'une demande présentée au juge du référé-liberté puisse prospérer, son auteur doit rapporter la preuve de la mise en cause d'une liberté fondamentale. La présente ordonnance est intéressante en ce qu'elle précise - à notre connaissance pour la première fois - que la liberté d'aller et venir suppose, non seulement une liberté de se déplacer mais également une liberté de se déplacer au moyen de tout moyen de locomotion autorisé :

"8. Or, d'une part, la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l'usage est autorisé constitue, au titre de la liberté d'aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative."

Constitue donc une liberté fondamentale, celle de faire du vélo pour aller et venir, dés l'instant où l'usage du vélo est autorisé. Ce faisant, la saisine du juge du référé-liberté est justifiée pour faire cesser une éventuelle atteinte à cette liberté d'aller et venir en vélo.

Il convient de bien préciser que ce n'est pas l'usage du vélo qui constitue une liberté fondamentale mais le recours à un moyen de locomotion autorisé, dont le vélo lorsque celui-ci est effectivement autorisé.

IV. Une atteinte grave et manifestement illégale

L'interprétation fausse de l'article 3 du décret du 23 mars 2020, notamment par le ministère de l'intérieur peut conduire l'administration à effectuer des contrôles et à une interdiction (illégale) de l'usage du vélo :

"9. D'autre part, si les cyclistes qui s'estiment verbalisés à tort peuvent, devant le juge judiciaire, contester l'infraction qui leur est reprochée, la faculté reconnue à l'administration, en vertu des dispositions rappelées au point 3, d'exécuter d'office les mesures prescrites en application du décret du 23 mars 2020 est de nature à conduire, en cas d'interdiction de déplacement opposée, à tort, à raison du seul usage d'une bicyclette, à ce que le cycliste contrôlé soit tenu de descendre de son véhicule et de poursuivre son trajet à pied."

Pour être très précis, le juge des référés critique l'absence de l'absence de diffusion publique de la position gouvernementale de principe (laquelle autorise le vélo) davantage que la diffusion de la position du ministère de l'intérieur :

"10. Dans ces conditions, compte tenu de l'incertitude qui s'est installée, à raison des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques, sur la portée des dispositions de l'article 3 du décret du 23 mars 2020, particulièrement en ce qui concerne l'activité physique, quant à l'usage de la bicyclette et des conséquences de cette incertitude pour les personnes qui utilisent la bicyclette pour leurs déplacements autorisés, l'absence de diffusion publique de la position gouvernementale mentionnée au point 6 doit être regardée, en l'espèce, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant que le juge du référé-liberté fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et enjoigne au Premier ministre de rendre publique, sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question." (nous soulignons)

C'est bien l'absence de diffusion de la position gouvernementale de principe qui est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Le juge du référé-liberté consacre ici un devoir d'information et de communication du Gouvernement.

Ainsi, la diffusion publique de la position gouvernementale de principe est requise pour mettre un terme à une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, celle d'aller et venir en vélo.

V. Sur l'office du juge des référés

Cette ordonnance est remarquable par les précisions qu'elle apporte à la définition de l'office du juge du référé-liberté. La demande qui était ici adressée au juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a en effet amené ce dernier à se prononcer :

  • sur le bien fondé de l'interprétation du droit par plusieurs représentants de l'Etat
  • sur les divergences d'interprétation de ce droit entre le Gouvernement dans son ensemble et certains de ses représentants (ministre de l'intérieur, préfets)
  • sur les conséquences de cette divergence pour l'exercice d'une liberté fondamentale
  • sur le rapport entre l'usage du vélo et le droit au respect d'une liberté fondamentale, celle d'aller et venir.

In fine, la présente ordonnance de référé-liberté comporte, dans son dispositif, l'injonction suivante :

"Il est enjoint au Premier ministre de rendre publique sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position du gouvernement, mentionnée au point 6 de la présente ordonnance et exprimée par le représentant de l'Etat au cours de l'audience publique, relative à l'usage de la bicyclette lors des déplacements autorisés par l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020."

Ainsi, le Premier ministre dispose d'un délai de 24 heure pour mettre un terme à la contradiction entre la position de principe du Gouvernement - favorable à l'usage du vélo pour les déplacements autorisés à l'article 3 du décret du 23 mars 2020 - et la position du ministère de l'intérieur qui prohibe cet usage.

Les autres demandes présentées par la Fédération des usagers de la bicyclette sont, sans surprise, rejetées, le Conseil d'Etat étant incompétent pour en connaître. Il faut cependant espérer qu'à la suite de cette ordonnance, les citoyens et associations d'usagers du vélo ne soient pas contraints de contester, une par une les décisions administratives de fermeture de pistes cyclables et les résultats des contrôles de police réalisés par des agents pensant que l'usage du vélo est interdit. 

Arnaud Gossement

Avocat associé - Docteur en droit

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