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Urbanisme : toute innovation ne caractérise pas toujours un projet innovant, surtout lorsqu'il porte atteinte à l'environnement (Conseil d'Etat, 13 janvier 2023, n°450446)

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Par une décision n°450446 du 13 janvier 2023, le Conseil d'Etat a confirmé l'annulation du permis de construire, accordé par la maire de Paris à l'office public de l'habitat Paris Habitat pour la réalisation d'un ensemble immobilier  dit "Projet Erlanger" dans le seizième arrondissement de Paris. Le permis de construire méconnaît en effet l'article UG11 du règlement du PLU de Paris qui impose un équilibre entre respect du bâti existant et autorisation de constructions nouvelles avec une configuration et des matériaux "innovants". Aux termes de cette décision, il ne suffit pas qu'un projet soit présenté comme innovant pour qu'il le soit réellement. Et le risque d'atteinte à l'environnement qu'il comporte contribue à le priver d'une telle qualité. Commentaire.

Résumé

Par une décision n°450446 du 13 janvier 2023, le Conseil d'Etat a confirmé l'illégalité d'un permis de construire délivré par la maire de Paris pour la construction d'un ensemble immobilier dit "projet Erlanger". 

Par cette décision, le Conseil d'Etat a également confirmé les modalités du contrôle par le juge administratif des dispositions de l'article UG 11 du PLU de Paris qui impose un équilibre entre respect du bâti existant et encouragement de projets innovants.

Cette décision est surtout intéressante en ce qu'elle impose à l'administration de ne pas tenir nécessairement pour innovant un projet de construction qui se présente comme tel. Un projet qui comporte un risque de "densification massive" sur une "parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier" n'a pas de caractère innovant "malgré la végétalisation des toitures".

Cette décision démontre une convergence des préoccupations urbanistique et environnementales dans le raisonnement du juge administratif.

Commentaire

Les faits et la procédure sont les suivants : 

  • Le 14 décembre 2018 la maire de Paris a délivré à l'office public de l'habitat Paris Habitat un permis de construire pour la réalisation d'un ensemble immobilier à l'angle de la rue Erlanger et du boulevard Exelmans dans le seizième arrondissement de Paris  ("Projet Erlanger")
  • Par un jugement du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé, sur la demande d'une association de riverains ce permis de construire
  • Par une décision ici commentée du 13 janvier 2023, le Conseil d'Etat a rejeté les pourvois en cassation de l'office public de l'habitat Paris Habitat  et de la Ville de Paris, dirigés contre le jugement précité du tribunal administratif de Paris.

Par une décision en date du 13 janvier 2023, le Conseil d'Etat s'est attaché à vérifier si le projet de construction autorisé par le permis de construire entrepris respecte un équilibre entre "respect de l'existant" et "encouragement de l'innovation" tel que défini par les dispositions de l'article UG11 du règlement du PLU de Paris.

Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu'elle permet au Conseil d'Etat, d'une part de rappeler les conditions du contrôle par le juge administratif de la légalité d'un permis de construire au regard des dispositions d'un article complexe du règlement d'un PLU et, d'autre part, d'en faire application à la question des "projets innovants" encouragés mais assez peu définis, en tout cas dans ce PLU

Aux termes du point 16 de cette décision du 13 janvier 2023, la Haute juridiction administrative précise ainsi, s'agissant du contrôle du respect de l'article UG du PLU de Paris par le permis de construire litigieux :

"(...) Dans l'exercice de ce contrôle, le juge doit tenir compte de l'ensemble des dispositions de cet article et de la marge d'appréciation qu'elles laissent à l'autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d'urbanisme."

Ainsi, le juge administratif a une double obligation :

  • d'une part, il doit procéder à une lecture d'ensemble des dispositions de l'article UG du PLU de Paris
  • d'autre part, il doit identifier puis respecter la marge d'appréciation de l'administration.

Au cas présent, ces deux obligations reviennent à celle de recherche d'un équilibre. L'article UG - lu en entier - impose la recherche d'un équilibre entre le respect de l'existant et l'encouragement de l'innovation au porteur de projet d'une construction nouvelle puis à l'administration, sous le contrôle du juge administratif. 

A noter : par une décision n°438414 du 11 février 2022, le Conseil d'Etat a déjà fait état de cette méthode de contrôle de la conformité d'une autorisation d'urbanisme aux dispositions de l'article UG 11 du PLU de la Ville de Paris : 

"31. Eu égard à la teneur des dispositions de l'article UG 11 du règlement en cause, en particulier celles du point UG 11.1.3, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si l'autorité administrative a pu légalement autoriser la construction projetée, compte tenu de ses caractéristiques et de celles des lieux avoisinants, sans méconnaître les exigences résultant de cet article. Dans l'exercice de ce contrôle, le juge doit tenir compte de l'ensemble des dispositions de cet article et de la marge d'appréciation qu'elles laissent à l'autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d'urbanisme. A cet égard, il résulte en particulier des dispositions de l'article UG 11 qu'elles permettent à l'autorité administrative de délivrer une autorisation de construire pour édifier une construction nouvelle présentant une composition différente de celle des bâtiments voisins et recourant à des matériaux et teintes innovants, dès lors qu'elle peut s'insérer dans le tissu urbain existant."


I. L'obligation de lecture d'ensemble des dispositions de l'article UG du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris


La décision commentée est intéressante en ce qu'elle précise que cet article UG doit être lu en entier et non de manière fractionnée. Or, lu en entier, cet article n'autorise pas à n'importe quelle condition des constructions nouvelles dont les configurations et les matériaux seraient sans rapport avec ceux des bâtiments voisins existants au nom de l'innovation. 

Cette méthode de lecture s'impose : au demandeur de l'autorisation d'urbanisme, à l'autorité administrative qui instruit cette demande puis au juge administratif, éventuellement saisi d'une demande de contrôle de légalité de l'autorisation d'urbanisme délivrée.

Sur le fond, la décision commentée souligne que les dispositions de l'article UG du règlement du PLU de Paris  "fixent, de façon développée et nuancée, les règles relatives à l'aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l'essentiel du territoire construit de la ville". On remarquera l'emploi des mots "développée" et "nuancée" qui qualifient ici la rédaction d'un article assez long et complexe, qui impose tout à la fois le respect de l'existant et l'encouragement de l'innovation. 

L'interprétation du sens et de la portée des dispositions de l'article UG du PLU de Paris impose une lecture d'ensemble, 

  • de tous les points de cet article UG
  • de tous ces points, ensemble et en correspondance avec l'objet général de cet article
  • des dispositions insérées au sein de ces points, particulièrement, les points UG 11.1. et UG 11.1.3.

Cette méthode de lecture et d'interprétation du contenu de l'article UG permet d'en dégager une obligation, à la charge dans un premier temps des pétitionnaires et du service instructeur, de recherche d'un équilibre entre respect de l'existant et encouragement de l'innovation pour les constructions nouvelles, tant du point de vue de leur configuration que de leurs matériaux. 

Les dispositions des points UG 11.1 et UG 11.1.3 comportent des dispositions qui encouragent et limitent tout à fois des constructions nouvelles "innovantes". 

Les dispositions du point UG 11.1. encouragent mais n'imposent pas les projets innovants. Elles "précisent que peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d'exprimer une création architecturale et (..) n'imposent pas que soit refusée une autorisation de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants (...) (nous soulignons)

Les dispositions du point UG 11.1.3. imposent déjà et plus sûrement un équilibre. 
  • D'une part, elles imposent cet objectif d'intégration au tissu urbain existant en ce qu'elles "énoncent que ces constructions [nouvelles] doivent s'intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures". 
  • D'autre part, elles précisent aussi "que l'objectif d'intégration dans le tissu urbain existant ne doit pas conduire à un mimétisme architectural ou faire obstacle à des projets d'architecture contemporaine. Dans cet esprit, les dispositions du point UG 11.1.3 permettent expressément de ne pas reprendre, pour des constructions nouvelles contemporaines, les registres des bâtiments sur rue, entendus comme le soubassement, la façade et le couronnement, tels qu'ils sont habituellement observés pour les bâtiments parisiens."
  • Enfin, "les dispositions du paragraphe 4 du point UG 11.1.3 relatives aux matériaux n'interdisent pas l'emploi de matériaux, ou de teintes, différents de la pierre calcaire ou du plâtre, et admet le recours à des matériaux innovants en matière d'aspect des constructions."

Pour reprendre le terme employé par le Conseil d'Etat cette rédaction de l'article UG est certainement "développée et nuancée". Dit autrement, elle est longue et complexe puisqu'elle procède sans doute d'injonctions et d'intérêts un peu contradictoires. Ecrire ceci ne revient pas à formuler une critique de la rédaction car il est évident que les auteurs du PLU de Paris ont manifestement cherché à tenir compte de l'ensemble de ces injonctions et à réaliser un équilibre subtil entre le respect du passé et le regard vers l'avenir. 

II. L'obligation de respect de la marge d'appréciation de l'administration  : le contrôle de l'équilibre entre le passé et l'avenir

Ainsi que cela a déjà été précisé, le point 16 de la décision commentée impose aussi au juge administratif d'identifier puis de respecter la marge d'appréciation de l'administration. 

"Dans l'exercice de ce contrôle, le juge doit tenir compte de l'ensemble des dispositions de cet article et de la marge d'appréciation qu'elles laissent à l'autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d'urbanisme."

Ce contrôle de la marge d'appréciation revient à vérifier si l'administration a ou non respecté la recherche d'équilibre entre le passé et l'avenir. Ou plutôt, entre la conception du passé et la conception de l'avenir qui a été prônée par les auteurs du PLU : 

"A cet égard, il résulte en particulier des dispositions précédemment citées de l'article UG 11 qu'elles permettent à l'autorité administrative de délivrer une autorisation de construire pour édifier une construction nouvelle présentant une composition différente de celle des bâtiments voisins et recourant à des matériaux et teintes innovants, dès lors qu'elle peut s'insérer dans le tissu urbain existant."

Il importe aussi de souligner que le Conseil d'Etat était ici saisi d'un pourvoi en cassation. Son contrôle, qui est celui du juge du cassation est prioritairement consacré à la recherche d'une erreur de droit et d'une éventuelle dénaturation des faits par le tribunal administratif de Paris. Dans la présente affaire,le tribunal administratif de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits en jugeant qu'en délivrant le permis de construire litigieux, la maire de Paris n'a pas respecté l'équilibre imposé par l'article UG du règlement du PLU de la Ville de Paris : 

  • d'une part, les constructions autorisées ne présentent pas de caractère innovant
  • d'autre part, elles ne s'intègrent pas aux lieux avoisinants de manière harmonieuse. 
L'équilibre précité étant rompu, le permis de construire est illégal. La décision commentée précise :

"17. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour estimer que le projet litigieux ne satisfaisait pas aux exigences d'insertion dans le tissu urbain existant, le tribunal administratif a notamment relevé que, si son environnement n'était pas caractérisé par une unité des registres architecturaux ou une régularité des volumes, les constructions imposantes en béton projetées, qui entraîneraient la densification massive d'une parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier, n'exprimaient aucune création architecturale, n'avaient, malgré la végétalisation des toitures, pas de caractère innovant et ne s'intégraient pas de manière harmonieuse aux lieux avoisinants, constitués en majorité d'immeubles en pierre ou recouverts d'un parement de pierre dont la surface construite est inférieure à la moitié de celle du terrain. En statuant ainsi, le tribunal administratif, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'était tenu ni de regarder tout projet de construction nouvelle comme exprimant, pour ce seul motif, une création architecturale, ni de regarder toute innovation comme caractérisant, par elle-même, un projet innovant, n'a pas commis d'erreur de droit et a, sans se fonder sur des motifs inopérants ni refuser de tenir compte de la marge d'appréciation que les dispositions de l'article UG 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris laissent à l'autorité administrative, porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation." (Nous soulignons). 

Par voie de conséquence, le tribunal administratif a régulièrement annulé le permis de construire litigieux :

"18. Ce motif d'illégalité de l'arrêté litigieux, qui n'apparaît pas susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, suffit à justifier légalement le dispositif du jugement du tribunal administratif de Paris. Par suite, la Ville de Paris et l'office public de l'habitat Paris Habitat ne sont pas fondés à demander l'annulation de ce jugement."

III. Sur le contrôle du caractère innovant du projet de construction litigieux

Il convient de s'arrêter au contrôle par le Conseil d'Etat du caractère "innovant" du projet de construction litigieux

"les constructions imposantes en béton projetées, qui entraîneraient la densification massive d'une parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier, n'exprimaient aucune création architecturale, n'avaient, malgré la végétalisation des toitures, pas de caractère innovant"

A la lecture de la présente décision du Conseil d'Etat, il ne semble pas que l'article UG 11 du PLU de la Ville de Paris comporte une définition des critères permettant de savoir si un projet de construction est ou non innovant. Toutefois, la décision elle-même du Conseil d'Etat permet de savoir, en creux, quels sont les motifs pour lesquels la Haute juridiction considère ici que le projet de construction litigieux n'est pas innovant

  • L'aspect de la construction  : "constructions imposantes en béton projetées"
  • Le caractère peu écologique du projet qui va contribuer à la "densification massive" d'une parcelle. Densification qui va contribuer à supprimer ce que l'on peut qualifier d’ilot de fraicheur : "une parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier".
  • L'absence de "création architecturale"
  • La végétalisation des toitures ne suffit pas à compenser ces défauts et à rétablir le caractère innovant du projet. 

Le juge administratif impose donc à l'administration de ne pas considérer comme innovant tout projet de construction qui se présente comme tel. Le caractère disgracieux et nuisible à l'environnement d'un projet ne permet pas de lui conférer une telle qualité. 

Il est très intéressant de souligner ici que le Conseil d'Etat exprime ici le souci de prévenir la réalisation d'un risque de "densification massive et de disparition d'un espace de respiration et de verdure.

Arnaud Gossement

Avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne
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