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Déchets : le transporteur non négligent de déchets n'est pas responsable de leur élimination en qualité de producteur ou de détenteur (Conseil d'Etat, 2 juin 2023, n°450086)

Conseil-dEtat-Fotolia
Par une décision n°450086 rendue ce 2 juin 2023, le Conseil d'Etat a jugé que la société qui assure la collecte et le transport de déchets n'est pas responsable de leur élimination dés lors qu'elle n'a pas fait preuve de négligence
Résumé

Par une décision n°450086 du 2 juin 2023, le Conseil d'Etat a :

  • d'une part, rappelé que le propriétaire ou le détenteur de déchets sont responsables de leur élimination, peu importe qu'ils aient confié cette opération à un tiers par contrat : "le propriétaire ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination, la seule circonstance qu'il ait passé un contrat en vue d'assurer celle-ci ne pouvant notamment l'exonérer de ses obligations légales auxquelles il ne peut être regardé comme ayant satisfait qu'au terme de l'élimination des déchets."
  • d'autre part, précisé que la société qui collecte et transporte des déchets pour le compte d'un tiers jusqu'à une ICPE, sans faire preuve de négligence, ne peut être responsable de leur élimination en qualité de producteur ou de détenteur.

Les faits et de la procédure

16 novembre 2005 : arrêté préfectoral d'autorisation de la société L. à exploiter, sur le territoire de la commune de Limeil-Brévannes, un centre de tri et de transit de déchets issus de chantiers de construction ou de démolition. 

15 novembre 2010 : à la suite de plusieurs mises en demeure infructueuses, le préfet a suspendu par arrêté l'activité de la société L, laquelle sera ensuite l'objet d'une liquidation judiciaire. 

Le préfet a demandé à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) d'intervenir, pour sécuriser le site et évacuer les déchets, aux frais des personnes physiques ou morales responsables, cette dernière ayant engagé, à ce titre, des dépenses à hauteur d'un montant de 19 500 000 euros.

23 janvier 2012 : par courrier, le préfet a :
  • d'une part, indiqué à la société M, chargée de la collecte et du transport de déchets issus de chantiers pour le compte d'entreprises tierces, qu'elle devait être regardée comme responsable, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, d'une partie des déchets abandonnés sur le site en question et qu'il lui appartenait, à ce titre, d'en financer l'élimination, sous peine de sanctions prises en application de l'article L. 541-3 du même code.
  • d'autre part, invité à se rapprocher de l'ADEME afin d'établir le montant de sa participation financière. 

15 juin 2012 : par courrier, le président de l'ADEME, après versement par cette société d'une somme d'un montant de 1 235 000 euros au titre de sa contribution aux travaux d'élimination des déchets, lui a adressé le titre de recettes correspondant.


1er juillet 2015 : par deux courriers, la société M a demandé à l'Etat et à l'ADEME la restitution de la somme de 1 235 000 euros qu'elle estime avoir versée à tort. 

8 juin 2018 : jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a, d'une part, condamné l'ADEME à verser à la société P - venant aux droits de la société M. - la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015

23 décembre 2020 : arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société P, annulé ce jugement et condamné l'Etat à verser à la société P venant aux droits de la société M, la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.

Commentaire

Cette décision du Conseil d'Etat est d'une particulière importance tant il est vrai que les préfets sont parfois tentés d'imposer, à des sociétés en charge du transport de déchets et au titre de la police des déchets les frais de dépollution de sites pour lesquels l'administration n'a pas réussi à mettre en cause l'exploitant au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Cette décision intéressera les sociétés de collecte et de transport de déchets mais aussi les éco-organismes pour le compte desquels elles peuvent aussi intervenir et qui peuvent parfois être considérés comme des détenteurs antérieurs.

I. La responsabilité de principe du propriétaire ou du détenteur de déchets

La décision ici commentée a pour intérêt premier de comporter un appel utile de la règle énoncée aux articles L.541-2 et L.541-3 du code de l'environnement : 

  • le propriétaire ou le détenteur de déchets est responsable de leur élimination. 
  • le fait qu'il ait pu confier cette opération d'élimination à un tiers, par contrat, ne l'exonère pas de cette responsabilité.

La décision rendue ce 2 juin précise en effet : 

"Il résulte de ces dispositions que le propriétaire ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination, la seule circonstance qu'il ait passé un contrat en vue d'assurer celle-ci ne pouvant notamment l'exonérer de ses obligations légales auxquelles il ne peut être regardé comme ayant satisfait qu'au terme de l'élimination des déchets."

Ce faisant, le Conseil d'Etat confirme sa jurisprudence antérieure désormais bien établie, relative à l'incidence de la négligence du propriétaire du terrain sur sa qualification de détenteur des déchets (cf.CE 26 juillet 2011, Commune de Palais-sur-Vienne, n° 328651 ; CE, 1er mars 2013, Société Natiocredimurs et Société Finamur, n° 354188).

II. La responsabilité subsidiaire du transporteur négligent de déchets

Si le détenteur d'un déchet est tenu d'en assurer l'élimination conformément aux prescriptions du droit de l'environnement, le détenteur antérieur au dernier détenteur défaillant peut il être recherché en responsabilité par l'autorité de police, au titre de la police des déchets ?

La réponse est négative lorsque le détenteur antérieur n'est pas négligent. La société qui collecte et transporte des déchets pour le compte d'un tiers jusqu'à un centre de tri autorisé ne peut être tenu, par l'autorité de police, responsable de leur élimination en qualité de producteur ou de détenteur :

"7. En se fondant sur la circonstance que l'activité de la société M. avait uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu'à un centre de tri autorisé par l'administration conformément aux dispositions particulières du code de l'environnement régissant cette activité citées au point précédent, pour juger que cette société, dont elle a, par ailleurs, estimé, par une appréciation souveraine, qu'elle n'avait commis aucune négligence, ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de producteur ou de détenteur des déchets au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, et en déduire que le préfet du V. ne pouvait mettre une somme à sa charge sur le fondement de l'article L. 541-3 du même code, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit.

Par cette décision n°450086 du 2 juin 2023, le Conseil d'Etat confirme la solution retenue dés 2015 par la cour administrative d'appel de Paris. 

Par arrêt 31 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Paris a jugé - à propos du même exploitant - qu'en l'absence de négligence qui serait imputable au détenteur des déchets, et dès l'instant où celui-ci a régulièrement confié lesdits déchets à une personne autorisée à les prendre en charge, l'autorité administrative ne peut valablement le mettre en demeure d'en assurer la gestion. L'arrêt précise ainsi que :

"[…] Dès lors que la société A 2 R a, sans qu'aucune négligence puisse être relevée à son encontre, transporté et déposé les déchets dans un centre de tri autorisé par l'administration sans les abandonner irrégulièrement, le préfet du Val-de-Marne ne pouvait légalement la mettre en demeure, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, d'assurer ou de faire assurer la gestion des déchets qu'elle avait remis à la société LGD Développement" (cf. CAA Paris, 31 décembre 2015, n° 14PA01486).

Par arrêt n°15PA01423 du 9 février 20217, la cour administrative d'appel de Paris a en effet jugé que le détenteur antérieur de bonne foi de déchets peut n'être pas tenu responsable de leur élimination à la place du détenteur actuel défaillant.(cf. notre commentaire)

Dans l'affaire dont la cour administrative d'appel de Paris était alors saisie, la société B. n'avait pas fait preuve de "négligence" et n'avait pas apporté les déchets en cause en toute connaissance de la mesure de suspension prise à l'encontre de la société L. exploitant le centre de transit dans lequel les déchets avaient été déposés. Sa responsabilité ne pouvait donc être recherché par l'autorité de police  :


"9. Considérant, cependant, que la société B., entreprise de travaux publics ayant pour activité le terrassement et la location de bennes, a déposé des déchets au centre de tri et de transit exploité par la société L. ; que, comme il a été dit au point 1, l'activité de celle-ci avait été autorisée par un arrêté du préfet du Val-de-Marne du 16 novembre 2005 avant d'être suspendue, à la suite de plusieurs mises en demeure restées infructueuses, par arrêté du préfet du Val-de-Marne du 15 novembre 2010 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la société B. aurait continué à déposer des déchets après publication de cette décision de suspension ; qu'ainsi, et dès lors que la société B. a, sans qu'aucune négligence puisse être relevée à son encontre, transporté et déposé les déchets dans un centre de tri autorisé par l'administration sans les abandonner irrégulièrement, le préfet du Val-de-Marne ne pouvait légalement lui ordonner de consigner la somme de 1 135 447 euros sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 541-3 du code de l'environnement ;"

Ainsi, aux termes de cet arrêt rendu le 9 février 2017 :

- le détenteur antérieur de déchets peut être tenu d'en assurer la gestion et l'élimination en cas de défaillance du détenteur actuel

- le détenteur antérieur ne peut toutefois pas être poursuivi par l'autorité administrative si les conditions suivantes sont réunies :

1. le détenteur antérieur a déposé ses déchets dans une ICPE autorisée par l'administration ;

2. Il n'a fait preuve d'aucune négligence ;

3. Il n'a pas déposé ses déchets après avoir eu connaissance d'une mesure préfectorale prise à l'encontre de l'exploitation de l'installation. Il n'a donc pas "abandonné irrégulièrement" ses déchets.

Arnaud Gossement

avocat associé, docteur en droit

professeur associé à l'université Paris I

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