Par une décision n°455122 du 31 janvier 2022, le Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont les conséquences pourraient être majeures pour tous les projets dont la réalisation implique l'obtention d'une autorisation d'urbanisme. Analyse.

Pour la première fois, le Conseil d'Etat était saisi de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi ELAN, aux termes duquel : « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Il a jugé que « la question de l'atteinte que ces dispositions portent aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, présente un caractère sérieux ».

I. Sur le principe de restriction des recours juridictionnels des associations

Les dispositions de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, qui conduisent à restreindre les recours en justice des associations, ont été introduites par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL). La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) a modifié sa rédaction en exigeant désormais que le dépôt des statuts de l'association intervienne un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

Concrètement, l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme limite ainsi la recevabilité des recours formés par les associations dans le cadre du contentieux en annulation des décisions d'occupation et d'utilisation des sols. Ces dispositions ont été renforcées de manière à faire obstacle aux recours dits "abusifs" engagés par certaines associations et à sécuriser davantage les autorisations d'urbanisme.

A cet égard, depuis l'entrée en vigueur de ces dispositions, des requêtes formées par des associations sont régulièrement rejetées par le juge administratif, à défaut pour les associations de démontrer un intérêt leur donnant qualité pour agir, faute de dépôt – ou de modification – de leurs statuts dans le délai imparti (cf. par ex : CE 11 juill. 2008, Assoc. des amis des paysages bourganiauds, n° 313386 ; CE 29 mars 2017, Association Garches est à vous, n°395419).

II. Sur la constitutionnalité de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme

Pour mémoire, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la QPC à la triple condition que

  • -La disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure,
  • -Elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et
  • -La question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme est débattue de longue date.

A cet égard, le Conseil constitutionnel a déjà été saisi en 2011 d'une QPC similaire, portant sur la constitutionnalité de ces dispositions dans leur rédaction antérieure issue de la loi ENL.

Par une décision du 17 juin 2011, le Conseil constitutionnel avait jugé ces dispositions conformes à la Constitution. Il a relevé « qu'en adoptant l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, le législateur a souhaité empêcher les associations, qui se créent aux seules fins de s'opposer aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols, de contester celles-ci ; qu'ainsi, il a entendu limiter le risque d'insécurité juridique ». Surtout, il a jugé que ces dispositions – suffisamment encadrées – étaient conformes au droit à un recours juridictionnel effectif, à la liberté d'association et au principe d'égalité devant la justice qui découle du principe d'égalité devant la loi (cf. Cons. const. 17 juin 2011, Assoc. Vivraviry, n° 2011-138 QPC ; sur renvoi CE, 6 avril 2011, n° 345980).

En l'espèce, le Conseil d'Etat était à nouveau saisi d'une QPC, par une association qui s'était vue opposer l'irrecevabilité de sa requête tendant à la suspension de l'exécution d'un arrêté accordant un permis de construire.

Alors que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles avait refusé de transmettre la QPC, le Conseil d'Etat a au contraire relevé que les dispositions de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme n'avaient pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans leur rédaction issue de la loi ELAN.

Le Conseil d'Etat a ainsi décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC après avoir jugé que les trois conditions de transmission étaient remplies. Il a en particulier relevé que « la question de l'atteinte que ces dispositions portent aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, présente un caractère sérieux ».

La QPC a été transmise au Conseil Constitutionnel le 1ᵉʳ février 2022 et devrait être jugée sous deux mois environ.

Margaux Bouzac

Avocate – Gossement Avocats