Par une ordonnance du 28 avril 2020 (n°2004501), le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de la décision verbale du maire de Cholet du 24 avril 2020 de renouveler, presque à l'identique, l'arrêté suspendu par décision de justice rendu le même jour. Le juge des référés du tribunal administratif de Nantes ordonne également au maire d'informer les habitants de sa commune, par voie de presse, que seules les restrictions à la liberté de circulation applicables au plan national sont en vigueur dans cette commune.

Faits et procédure

Par un arrêté du 14 avril 2020, le maire de la commune de Cholet a interdit tout déplacement entre 21h et 5h sur le territoire de sa commune, à l'exception de toutes les professions de santé, de sécurité, de salubrité ainsi que des personnes concourant à l'organisation et à la continuité des services publics, à l'intérêt général choletais, aux besoins vitaux de la Nation, en capacité d'en justifier.

Par une ordonnance du 24 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de cet arrêté.

Le jour même de cette notification, le maire de Cholet fait savoir à la population de sa commune, par une communication largement relayée par la presse locale et nationale, qu'il a décidé de renouveler l'arrêté suspendu en modifiant la durée de l'interdiction de circuler de 22h à 5h.

Par une requête enregistrée le 24 avril 2020, la Ligue des droits de l'Homme a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'ordonner la suspension de l'exécution de cette décision.

L'association soutient principalement que :

• l'mpossibilité de produire la décision litigieuse dû à son caractère verbal, ne fait pas obstacle à la recevabilité de sa requête ;

• la décision litigieuse reprend de façon quasi identique la mesure de couvre-feu dont l'exécution a été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes qui a jugé qu'elle portait une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés publiques ;

• par conséquent, cette décision verbale doit également être suspendue en ce qu'elle porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir, à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté personnelle ainsi qu'au respect dû à la vie privée et familiale.

Par une ordonnance du 28 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes suspend l'exécution de cette décision et ordonne au maire d'informer les habitants de sa commune que seules les restrictions en vigueur au plan national sont applicables sur le territoire de la commune de Cholet.

Rappel. Sur le droit d'exercice des pouvoirs de police générale du maire. Le juge des référés rappelle la jurisprudence désormais établie et confirmée par le Conseil d'Etat  que l'existence d'une police spéciale de l'urgence sanitaire confiée à l'Etat ne fait pas obstacle à l'exercice par le maire de son pouvoir de police générale.

Sur les conditions de l'exercice de son pouvoir de police générale. Les conditions d'exercice de ce droit varient selon l'objet de la mesure prise par le maire.

En effet, deux hypothèses sont possibles et chacune répond à des conditions distinctes :

  • Lorsque le maire agit en complément des mesures prises par l'Etat, les mesures qu'il prend doivent être justifiées par des circonstances locales et être proportionnées à l'objectif qu'elles poursuivent
  • Lorsque le maire se substitue à l'Etat en créant de nouvelles mesures qui diffèrent de celles déjà prises par l'Etat, dans ce cas elles doivent être justifiées par des raisons impérieuses et ne pas compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'Etat.
    Le juge des référés du tribunal administratif de Nantes rappelle ces différentes règles dans son ordonnance commentée.

I. Sur l'existence de la décision verbale du maire de Cholet

La communication du maire relayée par la presse ne faisant état que de sa décision « de prendre un arrêté de 22h à 5h », la question se posait de savoir si cette communication devait être considérée comme une décision applicable le jour-même ou si elle constituait une simple annonce d'un arrêté à venir.

D'une part, en tenant compte du contexte et de la formulation de cette communication, le tribunal considère que celle-ci « ne laissait pas la place à la moindre ambiguïté quant à la portée pratique de la nouvelle restriction de circuler faite à la population de la commune et ce, dès le vendredi 24 avril 2020 ».

Selon le juge, cette interdiction était donc applicable dès l'instant où le maire l'a annoncé à ses habitants.

D'autre part, le tribunal administratif de Nantes juge qu'aucun élément ne permet de démontrer qu'il s'agissait d'une simple annonce d'un arrêté à venir :

« A supposer que l'intention du maire de la commune de Cholet n'était que d'annoncer un arrêté à venir et non d'annoncer une décision applicable le jour même, il ne ressort pas du dossier qu'il aurait demandé à la presse de rectifier la portée de ses déclarations. Par ailleurs, alors qu'elle a pris connaissance le 27 avril 2020 à 8H39 de la requête par laquelle la Ligue des Droits de l'Homme faisait valoir l'existence d'une décision non formalisée et non publiée qui se déduisait des agissements, et en particulier des propres propos de son maire, la commune de Cholet n'a jamais estimé utile de discuter de la réalité d'une telle décision verbale. Il doit donc être regardé que le maire de la commune de Cholet a pris une décision verbale, qui n'a donc pas fait l'objet d'une publication officielle et a été portée à la connaissance des administrés par voie de presse, qui n'est pas motivée et qui édicte, à compter du vendredi 24 avril 2020, une interdiction générale de circuler entre 22 heures et 5 heures sur l'intégralité du territoire de la commune de Cholet et ce pour une durée indéterminée. »

Il est intéressant de noter que le juge déduit de l'attitude du maire l'existence de sa décision. En effet, le juge considère que l'absence de volonté du maire de rectifier la portée de ses déclarations mentionnées par la presse démontre la réalité de la décision.

Ainsi, le tribunal administratif de Nantes juge que le maire a bien pris une décision verbale d'interdiction générale de circuler entre 22h et 5h sur le territoire de la commune de Cholet.

II. Sur l'absence de circonstance nouvelle de nature à justifier le renouvellement de cette restriction à la liberté de circulation

En premier lieu, le juge des référés revient sur l'ordonnance rendue le 24 avril 2020.

Dans cette première décision, le tribunal administratif de Nantes a jugé que l'arrêté du 14 avril 2020 avait pour objet de créer de nouvelles mesures de police en plus de celles déjà prises par l'Etat.

A juste titre, il attendait du maire qu'il justifie l'existence de raisons impérieuses justifiant cette restriction à la liberté de circulation et qu'il démontre que les mesures qu'il a prises ne compromettent pas la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Etat.

Or, comme le rappelle l'ordonnance commentée, cette restriction à la liberté de circulation prévu par l'arrêté du 14 avril 2020 n'était pas justifiée :

« Pour motiver cette décision, le juge des référés a retenu que, à la date de son ordonnance, rendue le 24 avril 2020, le maire de Cholet n'avait pas été capable de démontrer l'existence de raisons impérieuses, propres à la commune, lui permettant de prendre l'arrêté attaqué alors, en outre, que ce même arrêté apparaissait susceptible de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, les citoyens choletais se voyant appliquer une double réglementation ayant le même objet et dont le non- respect est sanctionné de façon différente. »

L'ordonnance du 24 avril 2020 étant d'applicabilité immédiate, le maire de Cholet ne peut reprendre de mesures de police que dans ces conditions :

• Soit il prend des mesures identiques à celles prévues par l'arrêté suspendu. Dans ce cas, il devait justifier l'existence de circonstance nouvelle pouvant constituer des raisons impérieuses qui justifieraient la légalité des mesures prises, à conditions qu'elles ne compromettent pas la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'Etat.

• Soit il prend des mesures de police différentes à celles prévues par l'arrêté de police suspendu. Dans ce cas, le juge doit vérifier s'il s'agit de mesures complémentaires ou si elles ont pour objet de créer de nouvelles restrictions que celles déjà prises par l'Etat et analyser si les conditions sont remplies.

En l'espèce, lorsque le juge évoque la décision verbale du maire de Cholet, il fait référence à une « réduction marginale de la durée de l'interdiction de circuler ».

En définitive, malgré la réduction de l'interdiction de circuler, le juge considère que la décision verbale prévoit des mesures quasi identiques à celles prévues par l'arrêté suspendu. Ainsi, seule la preuve de circonstance nouvelle peut justifier le renouvellement de cette restriction à la liberté de circulation.

En second lieu, le tribunal administratif de Nantes juge que la mesure prise par le maire de Cholet est injustifiée en ce qu'elle n'est motivée par aucune circonstance nouvelle :

« La décision verbale prise le 24 avril 2020 par le maire de la commune de Cholet n'est pas davantage justifiée, dès lors que la commune, qui n'a jugé utile ni de produire d'observations écrites, ni d'être représentée à l'audience publique du 28 avril 2020 à laquelle elle a été dûment convoquée, ne fait valoir aucune circonstance nouvelle qui serait apparue ce 24 avril, ni ne tente même d'expliquer en quoi la réduction marginale de la durée de l'interdiction de circuler serait de nature à rendre cette nouvelle mesure, ni motivée, ni régulièrement publiée et prise sans limitation dans le temps, acceptable au regard du respect de la légalité et des libertés fondamentales. »

En effet, le maire n'apporte aucune explication ou observation permettant au juge de justifier la nécessité du renouvellement de cette interdiction de circulation.

Par conséquent, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes suspend l'exécution de la décision verbale du maire de Cholet.

III- La suspension d'une décision verbale par le juge administratif

Bien que cela puisse être surprenant et peu courant, une décision verbale est susceptible de recours devant le juge administratif.

Dans une décision du 12 octobre 2016 (n°395307), le Conseil d'Etat confirme qu'un acte administratif attaquable peut résulter d'une décision orale. Le Conseil d'Etat considère que l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration n'impose pas qu'une décision administrative prenne la forme d'un écrit.

Il juge que :

« si ces dispositions imposent qu'une décision écrite prise par une des autorités administratives au sens de cette loi comporte la signature de son auteur et les mentions prévues par cet article, elles n'ont ni pour objet ni pour effet d'imposer que toute décision prise par ces autorités administratives prenne une forme écrite ».

Ainsi, le principe général posé par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration n'implique pas obligatoirement que toute décision prenne nécessairement une forme écrite.

Même si cela demeure assez rare, ce n'est pas la première fois que le juge administratif annule ou suspend l'exécution d'une décision verbale.

On peut citer quelques décisions.

Par une décision du 15 mai 2002, le Conseil d'Etat a annulé une ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a rejeté une demande de suspension d'exécution d'une décision verbale d'un médecin de centre hospitalier spécialisé interdisant à un résident d'envoyer du courrier et de communiquer avec les autorités administratives et judiciaires.

Le Conseil d'Etat a jugé que :

« le centre hospitalier, qui n'a pas produit d'observations, ne conteste pas l'existence de cette décision; que la mesure ainsi prise à son égard porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de communication ».

De la même manière que le juge du tribunal administratif de Nantes, le Conseil d'Etat a déduit l'existence de cette décision verbale de l'absence de contestation du médecin.

Par une autre décision du 23 juin 2011 (n°350317), bien que le juge des référés du Conseil d'Etat rejette la demande de suspension d'exécution de la décision verbale, rendue publique le 22 juin 2011, du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie ; il ne remet pas en cause l'existence de cette décision.

Enfin, on peut citer une décision de la Cour administrative d'appel de Douai du 15 mai 2003, par laquelle celle-ci a confirmé le jugement du 27 juin 2002 du tribunal administratif d'Amiens annulant la décision verbale du maire de Canaples du date du 28 novembre 1997 autorisant l'exhumation d'une personne au titre de ses pouvoirs de police.

L'arrêt précise qu'aucun élément ne permet de justifier l'absence de décision :

« la commune de Canaples ne conteste pas le motif d'annulation retenu par les premiers juges mais se borne à opposer l'irrecevabilité des conclusions d'excès de pouvoir pour défaut de décision susceptible de recours; que toutefois, l'exhumation a eu lieu en présence d'un adjoint au maire de la commune de Canaples et il ne peut être sérieusement contesté que le maire a bien donné une autorisation verbale d'exhumer M. James Fourdrinier; ».

En l'espèce, l'exhumation, objet de la décision verbale, a bien eu lieu.

En conclusion, le juge des référés suspend l'exécution de la décision verbale du maire de Cholet de renouveler l'arrêté suspendu. Il ordonne également au maire d'informer par voie de presse les habitants de sa commune de la portée de cette décision.

Même si ce n'est pas la première fois que le juge administratif reconnaît l'existence d'une décision verbale, cette ordonnance confirme la possibilité pour le juge de suspendre une telle décision quand bien même elle ne s'appuierait sur aucun document écrit.

Lara Wissaad

Juriste-Cabinet Gossement Avocats