Le projet de loi "climat et résilience", actuellement examiné au Sénat, s'est enrichi d'une nouvelle disposition qui tend à interdire le fait qu'un produit ou un service est "neutre en carbone". Une disposition qui rejoint un ensemble de nouvelles interdictions et qui démontre le souci croissant du législateur de prévenir l'écoblanchiment ("greenwashing"). La communication environnementale est ainsi de plus de plus encadrée par le droit.

L'interdiction de l'allégation "neutre en carbone"

L'article 4 bis C du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, prévoit d'insérer l'article suivant au sein du code de l'environnement :

"Art. L. 229-62. – Sont interdits, dans une publicité, le fait d'affirmer à tort qu'un produit ou un service est neutre en carbone ou dépourvu de conséquences négatives sur le climat ou toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires."

A l'inverse d'autres dispositions du projet de loi, celles-ci ont été assez peu commentées alors que leur portée est, à notre sens, d'être importante. Depuis plusieurs années, l'expression "neutre en carbone" fait en effet florès et de très nombreuses communications en font état.

A la veille des débats au Sénat, ces dispositions appellent les premières observations suivantes.

En premier lieu, l'interdiction ne concernera pas que l'affirmation "neutre en carbone" mais, plus largement,

  • toute affirmation selon laquelle un produit ou un service est "dépourvu de conséquences négatives sur le climat"
  • ou "toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires"

La deuxième interdiction est bien plus large que la première. Aux termes de la première, les acteurs qui utilisent la mention "neutre en carbone" ne prétendent pas que leur produit ou service n'a aucune conséquence pour le climat mais qu'ils compensent les émissions émises pour sa production. La deuxième interdiction aura pour effet de rendre illégale toute affirmation selon laquelle un produit ou un service "est dépourvu de conséquence négative sur le climat". Une interprétation extensive du sens et de la portée de cette interdiction permet de soutenir qu'avant d'être compensée, une émission de gaz à effet de serre a, dans l'immédiat, une "conséquence négative sur le climat".

D'une certaine manière, cette disposition contourne la difficulté relative à la définition de l'expression "neutre en carbone".

Si l'objectif national de "neutralité carbone" est inscrit en droit, sa définition ne l'est pas encore. Tout au plus, la stratégie nationale bas-carbone précise-t-elle en note de bas de page (p 4) que la neutralité carbone correspond à "un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et l'absorption de carbone par les écosystèmes gérés par l'homme(forêts, sols agricoles...) et les procédés industriels (capture et stockage ou réutilisation de carbone) à l'échelle du territoire national, sans recours à la compensation par des crédits internationaux." Reste que la valeur juridique et la précision de cette définition sont sujettes à débat sinon à caution.

La jurisprudence administrative n'offre pas non plus de précision quant à la définition exacte de la notion de "neutralité carbone". Ainsi, l'arrêt "Commune de Grande-Synthe" rendu le 19 novembre 2020 par le Conseil d'Etat, s'il cite l'objectif national de neutralité carbone, n'en précise pas le sens et la portée. (cf. Conseil d'État, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n°427301)

Toutefois, l'interdiction de la mention "neutre en carbone" est ici opérante même sans définition de cette notion

  • d'une part, il suffit que la mention comprenne les mots "neutre en carbone" pour être illégale ;
  • d'autre part, si cette interdiction est étendue à des mentions équivalentes, les auteurs de l'amendement ont pris soin de préciser que cette interdiction revient alors à proscrire toute affirmation selon laquelle un produit ou un service est "dépourvu de conséquences négatives sur le climat". Ce qui "facilite" le travail du sens et de la portée de cette interdiction qui s'avère donc particulièrement large.

En deuxième lieu, l'interdiction peut-elle être levée que si l'auteur de l'affirmation démontre que celle-ci est justifiée.

L'article précitée n'interdit en effet la mention "neutre en carbone" - ou toute autre mention équivalente - que si celle-ci est employée "à tort".

Les termes "à tort" peuvent être interprétés de deux manières.

  • Soit le législateur a entendu prévoir un principe et une exception et ainsi permettre à l'auteur d'une telle affirmation de continuer à l'employer à la condition qu'il rapporte la preuve de son bien-fondé ;
  • Soit le législateur a entendu préciser qu'une telle affirmation est toujours employée "à tort".

Il serait utile que le Sénat lève cette difficulté d'interprétation. Pour l'heure, la deuxième interprétation semble l'emporter si l'on se réfère à "l'intention du législateur"

D'une part, l'article précité résulte de l'adoption de l'amendement n°4981 dont l'exposé des motifs est court mais clair :

"Le présent amendement vise à créer une interdiction de publicité pour des biens et services qui se prétendraient « neutre en carbone », allégation qui ne trouve aucun fondement scientifique. Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d'impact négatif et peut influencer négativement le consommateur en minimisant l'impact de ces biens ou services sur le climat."

Ainsi, pour les auteurs de l'amendement, l'allégation "neutre en carbone" "ne trouve aucun fondement scientifique". De telle sorte - selon notre interprétation - qu'elle ne peut jamais être employée "à raison".

D'autre part, la lecture des débats parlementaires confirme également que le législateur a entendu interdire toute publicité comprenant l'expression "neutre en carbone" ou toute autre expression équivalente.

Lors de la séance du 1er avril 2021, La ministre de la transition écologique a ainsi résumé ce qui apparaît avoir été un sentiment majoritaire parmi les députés qui se sont prononcés sur l'amendement n°4981 :

"Mme Barbara Pompili, ministre.

Monsieur le député, je vous invite à lire une note de l'ADEME, l'Agence de la transition écologique, qui est sortie aujourd'hui, et qui spécifie bien que la neutralité carbone peut être envisagée à l'échelle nationale ou internationale mais pas à partir d'un seul produit, précisément pour éviter les erreurs.
Par ailleurs, je rappelle que le fait de vouloir compenser des émissions carbone est une bonne chose, mais que la priorité, c'est de les réduire. Il ne faut pas encourager les entreprises qui produisent des objets ayant demandé énormément d'énergie mais qui se dédouanent en expliquant qu'elles vont compenser ces émissions en fabriquant des puits de carbone. C'est pourquoi il faut voter cet amendement – et je sais que vous allez probablement le faire, monsieur Herth !"

Ainsi, pour la ministre de la transition écologique qui a fermement défendu cet amendement, aucun produit ne peut jamais être présenté comme étant "neutre en carbone". La compensation des émissions de gaz à effet de serre d'un produit ou d'un service n'annule pas son inconvénient pour le climat.

Enfin, on notera que la ministre de la transition écologique s'est explicitement référée à un avis de l'ADEME intitulé "la neutralité carbone" et publié en mars 2021 Cet avis a manifestement inspiré la rédaction de cet amendement parlementaire soutenu par le Gouvernement.

La lecture de cet avis est donc importante pour préciser le sens et la portée de l'amendement n°4981 :

  • l'avis donne la définition suivante de la "neutralité carbone" : "En cohérence avec le rapport 1,5°C du GIEC, la . neutralité carbone / se définit par le fait de séquestrer autant de carbone que nous en émettons, de manière à stabiliser son niveau de concentration dans l'atmosphère et ainsi limiter l'augmentation de la température globale de la planète".
  • L'avis indique que la neutralité carbone ne peut jamais être atteinte et donc revendiquée à l'échelle d'un acteur : "Pour mettre en œuvre toutes les actions de réduction et de séquestration, la contribution de l'ensemble des acteurs, au-delà des Etats, est nécessaire. Il faut donc qu'ils s'engagent en faveur de la neutralité carbone : en met-tant en place des stratégies climat cohérentes avec l'Accord de Paris, en réduisant leurs émissions et en séquestrant du carbone quand ils le peuvent, ils contribuent à l'atteinte de l'objectif de neutralité carbone. Individuelle-ment ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens qui s'engagent pour la neutralité carbone, ne sont, ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, .neutres en carbone/, ce qui n'a pas de sens à leur échelle. En revanche, ils peuvent valoriser leur contribution à cet objectif mondial via leurs actions respectives". (nous soulignons)

Ainsi, aux termes de l'avis de l'ADEME qui a inspiré la rédaction de l'amendement interdisant le recours à l'allégation "neutre en carbone", celle-ci ne peut jamais être justifiée à l'échelle d'un acteur.

En troisième lieu, l'affirmation sera interdite sur tout support.

Il serait à notre sens vain de tenter de circonscrire le champ d'application de cette nouvelle interdiction en soutenant que celle-ci n'intéresse que la "publicité". En droit, le terme "publicité" est en effet défini de manière très large de telle sorte qu'il est impossible de le réduire à un seul mode d'expression pour tenter de réduire le champ d'application de cette nouvelle interdiction. En droit, toute communication peut relever du champ d'application du terme "publicité".

En droit de l'Union européenne, la publicité est définie à l'article 2 de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative comme "toute forme de communication" :

"publicité", toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations"

En droit interne, l'article L581-3 du code de l'environnement retient également une définition très large de la "publicité" :

"Au- sens du présent chapitre :

1° Constitue une publicité, à l'exclusion des enseignes et des préenseignes, toute inscription, forme ou image, destinée à informer le public ou à attirer son attention, les dispositifs dont le principal objet est de recevoir lesdites inscriptions, formes ou images étant assimilées à des publicités ;(...)"

Le droit retenant une définition très large du terme "publicité", les acteurs économiques et institutionnels sont encouragés à n'employer l'expression "neutre en carbone" - ou toute autre expression équivalente" sur aucun de leurs supports de communication.

Une communication environnementale de plus en plus encadrée

Cette interdiction - à venir - de l'allégation "neutre en carbone" intervient alors que le législateur a déjà adopté des dispositions pour encadrer la communication environnementale. Notre cabinet a consacré plusieurs articles à cette évolution remarquable du droit (cf. ci-dessous "A lire également")

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, l'article L.541-9-1 du code de l'environnement est ainsi rédigé de manière à interdire plusieurs allégations environnementales :

"Afin d'améliorer l'information des consommateurs, les producteurs et importateurs de produits générateurs de déchets informent les consommateurs, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, sur leurs qualités et caractéristiques environnementales, notamment l'incorporation de matière recyclée, l'emploi de ressources renouvelables, la durabilité, la compostabilité, la réparabilité, les possibilités de réemploi, la recyclabilité et la présence de substances dangereuses, de métaux précieux ou de terres rares, en cohérence avec le droit de l'Union européenne. Ces qualités et caractéristiques sont établies en privilégiant une analyse de l'ensemble du cycle de vie des produits. Les consommateurs sont également informés des primes et pénalités mentionnées à l'article L. 541-10-3 versées par le producteur en fonction de critères de performance environnementale. Les informations prévues au présent alinéa doivent être visibles ou accessibles par le consommateur au moment de l'acte d'achat. Le producteur ou l'importateur est chargé de mettre les données relatives aux qualités et caractéristiques précitées à disposition du public par voie électronique, dans un format aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé sous une forme agrégée. Un accès centralisé à ces données peut être mis en place par l'autorité administrative selon des modalités précisées par décret.
« Les produits et emballages en matière plastique dont la compostabilité ne peut être obtenue qu'en unité industrielle ne peuvent porter la mention " compostable ".
« Les produits et emballages en matière plastique compostables en compostage domestique ou industriel portent la mention " Ne pas jeter dans la nature ".
« Il est interdit de faire figurer sur un produit ou un emballage les mentions " biodégradable ", " respectueux de l'environnement " ou toute autre mention équivalente.
« Lorsqu'il est fait mention du caractère recyclé d'un produit, il est précisé le pourcentage de matières recyclées effectivement incorporées.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article, notamment la définition des qualités et caractéristiques environnementales, les modalités de leur établissement, les catégories de produits concernés ainsi que les modalités d'information des consommateurs. Un décret, pris après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, identifie les substances dangereuses mentionnées au premier alinéa. » (Nous soulignons).

On soulignera que le législateur interdit ici "toute autre mention équivalente" à la mention "respectueux de l'environnement".

Alors que la publication de la nouvelle du Guide des allégations environnementales est attendue, la future loi "Climat et résilience" va donc sans doute enrichir le droit positif de nouvelles interdictions dont le champ d'application peut s'avérer très important.

Arnaud Gossement

Avocat - docteur en droit

professeur associé à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne