Le décret n° 2022-539 du 13 avril 2022 relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité a été publié au journal officiel du 14 avril 2022. Si l'interdiction de principe d'affirmer qu'un produit ou un service est neutre en carbone avait été assortie de conditions de dérogation au Parlement, le ministère de la transition écologique vient d'alourdir ces conditions de telle sorte que nous sommes sans doute revenus à l'idée première d'une interdiction sans dérogation. 

I. L'interdiction de principe de l'allégation "neutre en carbone" ou de toute mention équivalente

1. La création de l'interdiction de principe par la loi dite "Climat et Résilience"

Pour mémoire, l'article 12 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effet, dite loi « Climat et Résilience » a créé l'article L. 229-68.-I du code de l'environnement pour établir l'interdiction d'utiliser l'allégation « neutre en carbone » dans une publicité sans que cette allégation ne soit justifiée (Pour un historique de cette mesure : cf. notre article).

L'article 12 de la loi "Climat et Résilience" définit ce principe - ainsi que les conditions de dérogation à ce principe - à l'article L.229-68 du code de l'environnement, de la manière suivante :

"I.- Il est interdit d'affirmer dans une publicité qu'un produit ou un service est neutre en carbone ou d'employer toute formulation de signification ou de portée équivalente, à moins que l'annonceur rende aisément disponible au public les éléments suivants :
1° Un bilan d'émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou du service ;
2° La démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou du service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est décrite à l'aide d'objectifs de progrès annuels quantifiés ;
3° Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimaux définis par décret".

L'article 12 de la loi "Climat et Résilience" a prévu que : "Un décret fixe les modalités de mise en œuvre du présent article". C'est l'objet du décret n° 2022-539 du 13 avril 2022 relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité. 

Ce décret créé tout d'abord une nouvelle section dans le code de l'environnement, dédiée aux allégations environnementales. L'article 1 du projet de décret dispose : "Le chapitre IX du titre II du livre II du code de l'environnement est complété par une section 9 ainsi rédigée : Section 9 Allégations environnementales".

2. Le champ d'application

Une définition large des allégations concernées

Le décret n°2022-539 du 13 avril 2022 créé, en outre, à son article 1er, l'article D.229-106 du code de l'environnement. Cette nouvelle disposition précise le champ d'application du nouveau cadre sur les allégations environnementales. 

"L'annonceur qui affirme dans une publicité qu'un produit ou un service est "neutre en carbone", "zéro carbone", "avec une empreinte carbone nulle", "climatiquement neutre", "intégralement compensé", "100 % compensé" ou emploie toute formulation de signification ou de portée équivalente respecte les dispositions de la présente section."

Une définition large des supports concernés. Ce cadre juridique relatif aux allégations afférentes à la neutralité carbone d'un produit ou d'un service concerne la grande majorité des supports sur lesquelles elles peuvent figurer. 

Aux termes de cet article D229-106 du code de l'environnement :

"Cette section est applicable à la correspondance publicitaire et aux imprimés publicitaires, à l'affichage publicitaire, aux publicités figurant dans les publications de presse, aux publicités diffusées au cinéma, aux publicités émises par les services de télévision ou de radiodiffusion et par voie de services de communication en ligne, ainsi qu'aux allégations apposées sur les emballages des produits"

II. Les conditions de dérogation à l'interdiction de principe d'utiliser l'allégation "neutre en carbone"

Aux termes de l'article L.229-68 du code de l'environnement, l'annonceur qui souhaite affirmer qu'un produit ou un service est neutre en carbone doit produire les trois informations suivantes :

  1. Un bilan d'émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou du service ;
  2. Une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre ;
  3. Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles.

Ces trois conditions sont cumulatives et leur contenu est précisé par le décret n°2022-539 du 13 avril 2022

Un bilan d'émissions de gaz à effet de serre. Le décret n°2022-539 du 13 avril 2022 créé, à son article 1er, l'article D. 229-107 du code de l'environnement, pour établir qu'un annonceur doit produire un bilan d'émissions de gaz à effet de serre associé au produit ou au service dont il est fait la publicité. 

Aux termes de cet article :

"Art. D. 229-107. - L'annonceur mentionné à l'article D. 229-106 produit un bilan des émissions de gaz à effet de serre du produit ou service concerné couvrant l'ensemble de son cycle de vie. Ce bilan est mis à jour tous les ans.
Ce bilan est réalisé conformément aux exigences de la norme NF EN ISO 14067, ou tout autre standard équivalent avec les exigences de cette norme. Un arrêté du ministre chargé de l'environnement peut compléter ces exigences afin de mettre en cohérence la méthodologie du bilan des émissions avec celle de l'affichage environnemental prévu à l'article L. 541-9-11 du présent code.
"

A noter, ce bilan : 

  • doit couvrir l'ensemble du cycle de vie du produit ou du service
  • doit être réalisé conformément à la norme NF EN ISO 14067
  • peut faire l'objet d'autres exigences définies par arrêté ministériel


Le rapport de synthèse décrivant l'empreinte et la trajectoire carbone Le décret n°2022-539 du 13 avril 2022 créé l'article D. 229-107 du code de l'environnement pour établir qu'un annonceur doit produire un rapport de synthèse décrivant l'empreinte carbone du produit ou service dont il est fait la publicité. Cette disposition est plus développée que dans le projet de décret et impose une information particulièrement précise et dense : 

"Art. D. 229-108. - L'annonceur mentionné à l'article D. 229-106 publie sur son site de communication au public en ligne, ou à défaut sur son application mobile, un rapport de synthèse décrivant l'empreinte carbone du produit ou service dont il est fait la publicité et la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet de serre sont prioritairement évitées, puis réduites, et enfin compensées. Ce rapport comprend trois annexes détaillant son contenu et présentées dans l'ordre suivant :

1° Une annexe présentant le résultat du bilan prévu à l'article D. 229-107, ainsi qu'une synthèse de la méthodologie d'établissement de ce bilan. Cette synthèse précise notamment le périmètre retenu pour la définition du produit ou service concerné, les unités fonctionnelles ou déclarées utilisées, les frontières du système considéré, les modalités du traitement de l'étape d'utilisation et de fin de vie, les données d'émissions prises en compte pour l'électricité ou le gaz consommés provenant des réseaux. Elle précise le ou les pays ou zones géographiques dans lesquels ont lieu les émissions, et les émissions dues au transport international, dans la mesure où ces données sont disponibles ;

2° Une annexe établissant la trajectoire visée de réduction des émissions de gaz à effet de serre associées au produit ou au service dont il est fait la publicité, avec des objectifs de progrès annuels quantifiés, couvrant au moins les dix années suivant la publication du rapport au titre de cette section. Une trajectoire actualisée couvrant une nouvelle période de 10 ans est établie tous les 5 ans suivants la publication du premier rapport au titre de cette section ;

3° Une annexe détaillant les modalités de compensation des émissions résiduelles, qui précise notamment la nature et la description des projets de compensation. Cette annexe présente également des informations sur leur coût, en les classant selon les catégories suivantes : en-dessous de 10€/tCO2, entre 10 et 40€/tCO2 ou au-dessus de 40€/tCO2. Cette annexe démontre que le volume des émissions réduites ou séquestrées via cette compensation correspond aux émissions résiduelles de l'ensemble des produits ou services vendus et concernés par la publicité. Cette annexe précise également les modalités mises en œuvre par l'annonceur afin de s'assurer qu'elle ne procède pas à un double-comptage de la compensation permise par ces projets. En particulier, elle présente les modalités du retrait des réductions et séquestrations d'émissions du marché lorsqu'il est fait recours à des crédits de compensation. Enfin, cette annexe détaille les efforts mis en œuvre pour assurer la meilleure cohérence possible entre les zones géographiques dans lesquelles les projets sont réalisés et où ont lieu les émissions.

Cette publication est tenue à jour annuellement, pendant toute la durée de commercialisation du produit ou du service pendant laquelle l'annonceur affirme dans une publicité que ce même produit ou service est neutre en carbone ou emploie toute formulation de signification ou de portée équivalente. La mise à jour permet notamment d'assurer le suivi de l'évolution des émissions associées au produit ou service en comparaison avec la trajectoire de réduction mentionnée précédemment. Ainsi l'annonceur retire l'affirmation mentionnée à l'article D. 229-106 s'il apparaît que les émissions unitaires associées au produit ou service avant compensation ont augmenté entre deux années successives.

Le lien internet ou code à réponse rapide permettant d'accéder à cette publication est indiqué sur la publicité ou l'emballage portant l'allégation de neutralité carbone.'

A noter : cette disposition interdit de maintenir l'allégation "neutre en carbone" s'il est constaté que les émissions associées au produit ou service avant compensation ont augmenté entre deux années successives. 


Le respect des principes de réduction et de séquestrations d'émissions issues de projets de compensation. Le décret du 13 avril 2022 fait le lien entre le cadre juridique de l'allégation "neutre en carbone" et le dispositif de l'article L.229-55 du code de l'environnement qui soumet ces projets à plusieurs principes :

"Art. D. 229-109. - Les réductions et séquestrations d'émissions issues de projets de compensation utilisés par l'annonceur mentionné à l'article D. 229-106 respectent les principes définis par l'article L. 229-55 et ses textes d'application.
Les projets de compensation ne doivent pas être défavorables à la préservation et la restauration des écosystèmes naturels et de leurs fonctionnalités.
Les réductions d'émissions reconnues dans le cadre du décret n° 2018-1043 du 28 novembre 2018 créant un label "Bas Carbone" sont réputées respecter les deux alinéas précédents.
Les annonceurs ne peuvent afficher la mention "Compensation réalisée en France", ou toute mention de signification ou de portée équivalente, que si la totalité des projets de compensation sont réalisés en France.
"

Pour mémoire, l'article L229-55 du code de l'environnement auquel renvoie l'article D.229-109 précité, dispose : 

"Les réductions et séquestrations d'émissions issues des projets permettant de compenser les émissions de gaz à effet de serre répondent aux principes suivants : elles sont mesurables, vérifiables, permanentes et additionnelles.

Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de ces principes.
"

Commentaire

Ce décret procède à une définition assez lourde des trois conditions à remplir pour pouvoir procéder à une allégation environnementale relative à la "neutralité carbone" d'un produit ou d'un service.

De telle sorte que le nombre, le coût, la complexité de ces conditions qui imposent de fournir régulièrement une information assez dense peuvent avoir pour effet - sans doute était-ce recherché - de décourager les annonceurs de procéder à ces allégations. Il s'agira en effet de savoir si "le jeu en vaut la chandelle" a fortiori si l'on tient compte du risque juridique associé à la réalisation de ces conditions de dérogation.

Pour aller plus loin, il est possible de formuler l'hypothèse que par ce décret, le ministère en charge de l'écologie a souhaité revenir sur l'échec subi par sa ministre au parlement, lors de la discussion de la loi "climat et résilience".

Il convient en effet de rappeler que, lors de la séance publique du 1er avril 2021, la ministre de la transition écologique avait ainsi résumé ce qui apparaît avoir été un sentiment majoritaire parmi les députés qui se sont prononcés sur l'amendement n°4981 :

"Mme Barbara Pompili, ministre.

Monsieur le député, je vous invite à lire une note de l'ADEME, l'Agence de la transition écologique, qui est sortie aujourd'hui, et qui spécifie bien que la neutralité carbone peut être envisagée à l'échelle nationale ou internationale mais pas à partir d'un seul produit, précisément pour éviter les erreurs.
Par ailleurs, je rappelle que le fait de vouloir compenser des émissions carbone est une bonne chose, mais que la priorité, c'est de les réduire. Il ne faut pas encourager les entreprises qui produisent des objets ayant demandé énormément d'énergie mais qui se dédouanent en expliquant qu'elles vont compenser ces émissions en fabriquant des puits de carbone. C'est pourquoi il faut voter cet amendement – et je sais que vous allez probablement le faire, monsieur Herth !"

Ainsi, pour la ministre de la transition écologique qui a fermement défendu cet amendement, aucun produit ne peut jamais être présenté comme étant "neutre en carbone". La compensation des émissions de gaz à effet de serre d'un produit ou d'un service n'annule pas son inconvénient pour le climat.

La ministre de la transition écologique s'était explicitement référée à un avis de l'ADEME intitulé "la neutralité carbone" et publié en mars 2021 Cet avis a manifestement inspiré la rédaction de cet amendement parlementaire soutenu par le Gouvernement.

La lecture de cet avis est donc importante pour préciser le sens et la portée de l'amendement n°4981 :

  • l'avis donne la définition suivante de la "neutralité carbone" : "En cohérence avec le rapport 1,5°C du GIEC, la . neutralité carbone / se définit par le fait de séquestrer autant de carbone que nous en émettons, de manière à stabiliser son niveau de concentration dans l'atmosphère et ainsi limiter l'augmentation de la température globale de la planète".
  • L'avis indique que la neutralité carbone ne peut jamais être atteinte et donc revendiquée à l'échelle d'un acteur : "Pour mettre en œuvre toutes les actions de réduction et de séquestration, la contribution de l'ensemble des acteurs, au-delà des Etats, est nécessaire. Il faut donc qu'ils s'engagent en faveur de la neutralité carbone : en met-tant en place des stratégies climat cohérentes avec l'Accord de Paris, en réduisant leurs émissions et en séquestrant du carbone quand ils le peuvent, ils contribuent à l'atteinte de l'objectif de neutralité carbone. Individuelle-ment ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens qui s'engagent pour la neutralité carbone, ne sont, ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, .neutres en carbone/, ce qui n'a pas de sens à leur échelle. En revanche, ils peuvent valoriser leur contribution à cet objectif mondial via leurs actions respectives". (nous soulignons)


Ainsi, aux termes de l'avis de l'ADEME qui a inspiré la rédaction de l'amendement interdisant le recours à l'allégation "neutre en carbone", celle-ci ne peut jamais être justifiée à l'échelle d'un acteur.

Pourtant, malgré cet avis de l'ADEME et la position de la ministre de la transition écologique, la rédaction finalement retenue ne fait plus état d'une interdiction stricte mais d'une interdiction assortie de plusieurs conditions de dérogation. Le fait de rendre ces conditions assez exigeantes par décret peut avoir pour effet de revenir à l'idée première d'interdiction.