Par une décision du 3 avril 2020 (n°426941), le Conseil d'Etat a rejeté les demandes d'annulation du décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l'autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l'environnement.

Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a été saisi par plusieurs associations de deux recours qui ont été joints pour faire l'objet d'une unique décision.

Pour rappel, le décret du 29 novembre 2018 comporte deux séries de dispositions qui intéressent :

- le régime de l'autorisation environnementale et de certaines installations classées (articles 2 à 5 et 7 à 21) ;
- le régime juridique des éoliennes terrestres (articles 6 et 23 à 25).

Introduits pour accélérer l'instruction des contentieux éoliens, les articles 23 et 24 comportent une réforme du contentieux administratif relatif aux éoliennes terrestres.

  • L'article 23 insère un article R. 311-5 au sein du code de justice administrative qui donne compétence aux cours administratives d'appel en premier et dernier ressort pour le contentieux des décisions portant sur l'installation des éoliennes terrestres. Par une décision du 9 octobre 2019 (n°432722), le Conseil d'Etat a "étendu" cette compétence aux mesures de police portant sur des projets éoliens terrestres.
  • L'article 24 insère un article R. 611-7-2 dans le code de justice administrative qui prévoit la cristallisation automatique des moyens passé un délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.

Les associations requérantes invoquaient, en vain, différents arguments :

- L'atteinte au principe de non-régression ;
- Le non-respect du droit à un recours effectif ;
- Le non-respect du droit au procès équitable ;
- L'atteinte au principe d'égalité ;
- Le non-respect du droit à l'information, à la participation du public ;
- L'atteinte au principe du contradictoire.

Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a rejeté les moyens de légalité externe des parties, à savoir la consultation irrégulière du Conseil d'Etat et le défaut de contreseing.

  • D'une part, il a jugé que le projet de décret soumis pour avis au Conseil d'Etat ne diffère pas du décret attaqué.
  • D'autre part, il a rappelé que seuls les actes réglementaires doivent être contresignés par les ministres chargés de son exécution. Ce décret ne n'appelant pas de mesures d'exécution, ce moyen est rejeté.

Dans un second temps, le Conseil d'Etat a également rejeté les moyens attachés à la légalité interne du décret.

Sur la violation du principe de non-régression garanti par l'article 'article L. 110-1 du code de l'environnement, les requérants considèrent que les dispositions issues des articles 4, 10 et 11 du décret ont pour conséquence l'affaiblissement de la protection de l'environnement.

Le Conseil d'Etat rappelle d'abord les modifications apportées par ces articles au code de l'environnement pour conclure qu'ils « n'ont ni pour objet, ni pour effet d'affaiblir la protection de l'environnement assurée par les normes réglementaires modifiées ».

A titre d'exemple, il juge que la faculté offerte au pétitionnaire d'inclure dans le dossier de demande d'autorisation une synthèse des mesures envisagées, sous forme de propositions de prescriptions n'a pas pour effet de priver l'administration décisionnaire de la prise en compte de l'avis de de l'autorité environnementale.

Sur l'atteinte au droit à un procès équitable et au droit à un recours effectif protégés notamment par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme, le Conseil d'Etat a écarté les moyens relatifs à la compétence des cours administrative d'appel et à l'obligation du ministère d'avocat.

Concernant le défaut de garantie du double degré de juridiction, la décision précise : "aucun principe général du droit ne consacrent l'existence d'une règle de double degré de juridiction qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort."

En effet, la Cour de justice de l'Union européenne consacre le principe du droit à un recours juridictionnel effectif et non du droit à un double degré de juridiction. Dans un arrêt du 26 septembre 2018 (C-175/17, X c/ Belastingdienst/Toeslagen), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que ni le droit de l'Union ni la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme ne permet d'imposer aux Etats la mise en place d'un double degré de juridiction.

S'agissant de l'obligation du ministère d'avocat contesté par les requérantes, le Conseil d'Etat a jugé que :

"l'obligation du ministère d'avocat devant les cours administratives d'appel statuant en premier et dernier ressort a pour objet tant d'assurer aux justiciables la qualité de leur défense que de concourir à une bonne administration de la justice, en imposant le recours à des professionnels du droit. Eu égard à l'existence d'un dispositif d'aide juridictionnelle, l'obligation du ministère d'avocat dans le contentieux des décisions qu'exige l'installation d'éoliennes terrestres ne saurait être regardée comme portant atteinte au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction ».

La position du Conseil d'Etat est conforme avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur ce point (ex. Steel et Morris c. Royaume Uni, 15 février 2005). La Cour considère qu'à partir du moment où l'assistance d'un avocat est obligatoire, le droit d'accès à un avocat doit être garanti. Elle laisse néanmoins la liberté aux Etats de choisir les dispositions nécessaires pour garantir ce droit. Le dispositif d'aide juridictionnel en est un.

Sur le non-respect du principe du contradictoire soulevé par les requérantes s'agissant de l'impossibilité d'invoquer de nouveaux moyens passé un certain délai fixé par l'article R. 611-7-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat a jugé que :

"La faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu'il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s'exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l'expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Dans ces conditions, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l'article 24 du décret attaqué méconnaissent le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle."

Ainsi, le Conseil d'Etat juge que le droit à un procès équitable n'est pas violé par la cristallisation des moyens dans la mesure où celle-ci prend effet à une date précise prévue par le code de justice administrative à laquelle le juge ne peut déroger.

La décision précise en outre : "si la cristallisation des moyens peut représenter une contrainte pour les requérants dans un contentieux marqué par une certaine technicité, les dispositions attaquées ne méconnaissent pas pour autant le principe d'égalité des armes. Au demeurant, les procédures d'information et de participation du public à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement sont de nature à permettre aux justiciables d'avoir accès au dossier avant que ne soit prise la décision qu'ils entendent contester devant le juge administratif."

Ce considérant est très intéressant : le Conseil d'Etat considère manifestement que les procédures d'information et de participation du public viennent, d'une certaine manière, "compenser" la contrainte qui pèse sur le justiciable en lui permettant d'avoir accès au dossier et de préparer sa défense avant de saisir le juge administratif.

En conclusion, le Conseil d'Etat rejette le recours et ne juge pas nécessaire d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne. La demande de renvoi à titre préjudiciel est écartée.

Lara Wissaad

Juriste-Cabinet Gossement Avocats