Par une décision QPC n°2022-986 du 1er avril 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme, telles que modifiées par par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Le Conseil constitutionnel admet ainsi cette nouvelle limitation du droit au recours des associations contre des autorisations d'urbanisme.

Résumé

  1. Par une décision QPC n°2022-986 du 1er avril 2022 ("Association La Sphinx"), le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la modification de la rédaction de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.
  2. Cette modification avait pour objet de limiter davantage le droit au recours de certaines associations contre des autorisations d'urbanisme.
  3. Par une décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011 ("Association Vivraviry"), le Conseil constitutionnel avait déjà déclaré conforme à la Constitution, l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme dans sa première rédaction issue de l'article 14 de la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.
  4. De manière générale la motivation de ces décisions QPC est assez sommaire de telle sorte qu'il est délicat d'identifier les raisons précises pour lesquelles le Conseil constitutionnel a considéré que l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme ne porte pas une atteinte "disproportionnée" au droit au recours. 
  5. Enfin, il n'est pas certain, contrairement à ce que semble considérer le Conseil constitutionnel, que la règle de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme soit la mesure la plus pertinente pour améliorer l'instruction et la sécurité juridique des projets.


Analyse

I. La première limitation du droit au recours des associations par le législateur

L'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme :

  • a été créé à l'article 14 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement ;
  • a fait l'objet d'une première QPC, écartée par le Conseil constitutionnel par une décision QPC n°2011-138 du 17 juin 2011, ("Association Vivraviry")  ; 
  • a été modifié à l'article 80 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
  • a fait l'objet d'une deuxième QPC, également écartée par le Conseil constitutionnel, par une décision QPC n°2022-986 du 1er avril 2022 ("Association La Sphinx").


L'article 14 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Dans sa rédaction issue de cet article, l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme précisait : 

"Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire."

Par cette disposition, le législateur a ainsi créé une nouvelle condition de recevabilité du recours formé par une association contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols. Désormais, ce recours ne sera jugé recevable qu'à la condition que les statuts de l'association en préfecture aient été déposés en préfecture antérieurement à l'affichage en mairie de la demande d'autorisation d'urbanisme contestée. 

La création de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme avait pour objet de réduire le nombre des recours formés par des associations de protection de l'environnement ou de riverains contre des autorisations d'urbanisme. Ces recours étaient alors présentés par le Gouvernement comme étant parfois "abusifs" c'est à dire exercés pour des motifs étrangers au droit de l'urbanisme ou de l'environnement.

La décision du Conseil constitutionnel du 17 juin 2011, Association Vivraviry, n° 2011-138 QPC. Par cette décision, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution cette première rédaction de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d'une QPC déposée par l'association Vivraviry pour laquelle les dispositions de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme "méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et portent atteinte à la liberté d'association ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice qui découle du principe d'égalité devant la loi".

Par sa décision QPC n°2011-138 le Conseil constitutionnel a tout d'abord énoncé les normes de référence de son contrôle de constitutionnalité : 
  • La première est la liberté d'association : "3. Considérant, en premier lieu, que la liberté d'association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution ; qu'en vertu de ce principe, les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; "
  • La deuxième est le droit au recours juridictionnel effectif : "4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ;"
  • La troisième est le principe d'égalité : "5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit."


Le Conseil constitutionnel a ensuite précisé quel était le but poursuivi par le législateur : "6. Considérant qu'en adoptant l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, le législateur a souhaité empêcher les associations, qui se créent aux seules fins de s'opposer aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols, de contester celles-ci ; qu'ainsi, il a entendu limiter le risque d'insécurité juridique.

Cette interprétation est intéressante à deux titres : 

  • d'une part, elle signifie que, pour le législateur, rien ne s'oppose à créer ainsi deux catégories d'associations. La première serait constituée des associations "généralistes" qui n'ont pas pour objet de s'opposer à un projet en particulier. Ces associations seraient ainsi légitimes et plus facilement recevables à former des recours. La deuxième catégorie serait constituée 
  • d'autre part, elle signifie aussi que le législateur établit un lien clair entre le droit au recours des associations et le "risque d'insécurité juridique" des pétitionnaires. En réalité, le législateur a manifestement considéré que le droit au recours des associations peut être contraire au droit à la sécurité juridique des pétitionnaires.


Pour le Conseil constitutionnel, l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme n'est pas contraire à la Constitutionnel au motif qu'il ne porte pas une atteinte "substantielle" au droit au recours des associations, à la liberté d'association ou au principe d'égalité :

"7. Considérant que la disposition contestée n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire la constitution d'une association ou de soumettre sa création à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; qu'elle prive les seules associations, dont les statuts sont déposés après l'affichage en mairie d'une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser les sols, de la possibilité d'exercer un recours contre la décision prise à la suite de cette demande ; que la restriction ainsi apportée au droit au recours est limitée aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols ; que, par suite, l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme ne porte pas d'atteinte substantielle au droit des associations d'exercer des recours ; qu'il ne porte aucune atteinte au droit au recours de leurs membres ; qu'il ne méconnaît pas davantage la liberté d'association ;"

Précisément, s'agissant du droit au recours des associations : pour le Conseil constitutionnel, le législateur ne lui a pas porté une "atteinte substantielle" pour les motifs suivants : 

  • seules certaines associations sont concernées : les associations formées "tardivement" seront irrecevables à agir devant le juge administratif
  • seules certaines décisions sont concernées : les décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols
  • les membres de cette association peuvent toujours exercer leur droit au recours à titre individuel.

Ce dernier motif est sans doute le plus intéressant. Dans la pratique,la règle fixée à l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme peut en effet être aisément contournée dés l'instant où une association qui ne serait pas certaine de la recevabilité de son recours par application de cet article, peut en effet proposer à un ou plusieurs membres d'agir à titre individuel. Même si le recours de l'association est jugé irrecevable, celui formé par des personnes physiques sera sans doute déclaré recevable. A tout le moins, ces personnes physiques ne sont pas soumises au respect de la condition définie à l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme. 

Enfin, le Conseil constitutionnel relève que l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme ne porte pas atteinte au principe d'égalité : "8. Considérant qu'au regard de l'objet de la loi, les associations qui se créent postérieurement à une demande d'occupation ou d'utilisation des sols ne sont pas dans une situation identique à celle des associations antérieurement créées ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté ;"

II. La deuxième limitation du droit au recours des associations par le législateur
Le législateur est intervenu une deuxième fois pour limiter le droit au recours de certaines associations contre les autorisations d'urbanisme.

L'article 80 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Aux termes de cet article 80, la rédaction de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme a été modifiée de manière suivante : 

"Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire". (les termes ajoutés sont soulignés). 


Cette modification de la rédaction de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme a donc pour objet de rendre irrecevables les recours formés par les associations dont les statuts ont été déposés moins d'un an avant l'affichage de la demande d'autorisation. Cette condition nouvelle de recevabilité du recours est bien entendu particulièrement contraignante et a pour finalité d'écarter les recours des associations créées spécialement à l'occasion d'une opposition à un projet. 

La décision du Conseil constitutionnel du 1er avril 2022, "Association La Sphinx", QPC n°2022-986. A la différence de la première décision QPC du 17 juin 2011, le Conseil constitutionnel ne contrôle ici la constitutionnalité de la nouvelle rédaction de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme qu'au regard des seules exigences du droit au recours tel que consacré à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

"Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction."

Dans un deuxième temps de son raisonnement, le Conseil constitutionnel interprète ainsi la volonté du législateur : 

"8. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a souhaité que les associations qui se créent aux seules fins de s'opposer à une décision individuelle d'occupation ou d'utilisation des sols ne puissent la contester. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d'incertitude juridique qui pèsent sur ces décisions d'urbanisme et prévenir les recours abusifs et dilatoires."

A l'identique de sa première analyse contenue dans sa décision QPC du 17 juin 2011, le Conseil constitutionnel établit ici un lien entre limitation du droit au recours et augmentation de la sécurité juridique. Ce lien pourrait cependant être questionné. Quant à savoir s'il existe un "risque particulier" relatif aux autorisations d'urbanisme, rien ne permet à notre sens de l'établir. Le recours dirigé contre une autorisation de défrichement ou une autorisation environnementale créé lui aussi un risque - comme tout recours - pour l'autorisation contestée. 

Pour le Conseil constitutionnel, la nouvelle rédaction de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme ne porte pas atteinte de manière "substantielle" à ce droit au recours pour au motif qu'elle ne ne concerne que certaines associations et certaines décisions :

"9. En second lieu, d'une part, les dispositions contestées restreignent le droit au recours des seules associations dont les statuts sont déposés moins d'un an avant l'affichage de la demande du pétitionnaire sur laquelle porte la décision qu'elles entendent contester. D'autre part, cette restriction est limitée aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols."

Cette motivation est assez insuffisante. On conçoit mal pour quelle raison la remise en cause du droit au recours d'un nombre limité de personnes serait plus "acceptable" ou moins contraire à la Constitution. A partir de combien de personnes, la limitation deviendrait-elle contraire à la Constitution ?

In fine, la nouvelle rédaction de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme est déclarée conforme à la Constitution au motif que l'atteinte au droit au recours qu'elle comporte n'est pas "disproportionnée : "10. Par conséquent, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Ce grief doit donc être écarté."

Malheureusement la motivation de ces deux décisions QPC du Conseil constitutionnel est si courte qu'il est délicat de bien comprendre les motifs exacts qui ont conduit le Conseil constitutionnel à ce résultat.

Conclusion : un dispositif utile ? A l'examen de la jurisprudence administrative, il n'apparaît pas que les décisions de rejet pour irrecevabilité fondées sur l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme soient très nombreuses (cf. par ex. CAA de Marseille, 29 décembre 2020, n°20MA04095). Surtout, la limitation du droit au recours des associations est sans doute une mauvaise réponse à une bonne question.

A notre sens, la question pourrait être ainsi formulée : comment améliorer significativement la sécurité juridique des projets et le délai d'instruction des demandes d'autorisation ? La mauvaise réponse est la suivante : réduire le droit au recours de certaines associations contre certaines autorisations administratives. 

L'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme est une mauvaise réponse pour les motifs suivants : 

  • La règle définie à l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme peut être aisément contournée : il suffit que l'un des membres de l'association forme un recours en annulation en son nom propre. L'intérêt à agir de cette personne physique sera apprécié de manière plus souple. Au demeurant, on rappellera qu'aux termes de sa décision QPC du 2011-138 du 17 juin 2011
  • Cette règle ne vaut que pour les décisions relevant du droit de l'urbanisme. Pour les projets appelant des décisions relevant, par exemple, du droit de l'environnement, bien d'autres recours seront possibles. 
  • D'autres mesures seraient utiles pour limiter les recours abusifs à commencer par la formulation en droit d'une définition précise de ce qu'est le "recours abusif" à supposer qu'il ne s'agisse pas uniquement de l'abus du droit d'ester en justice d'ores et déjà sanctionné par l le juge judiciaire.
  • Surtout, d'autres mesures seraient précieuses pour réduire la durée d'autorisation des projets et leur sécurité juridique, dont les suivantes : un droit plus simple, moins instable et mieux rédigé ; un renforcement des effectifs des administrations en charge d'instruire les demandes d'autorisation ; une réduction de la durée des procédures devant le juge administratif grâce notamment au recours plus fréquent aux ordonnances de tri qui permettent d'écarter rapidement des recours manifestement irrecevables pour des raisons aussi évidentes que le dépassement d'un délai ou l'oubli d'une formalité de notification. 



Arnaud Gossement

Avocat associé - docteur en droit

Professeur associé à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne