L'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19 a été publiée au Journal officiel du 16 avril 2020. Cette ordonnance modifie et complète certaines ordonnances dont celle du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période. Comme l'ordonnance du 25 mars, celle du 15 avril impacte les délais et procédures en matière administrative, mais surtout, elle vient une nouvelle fois impacter l'ensemble des relations contractuelles de droit privé.

En résumé :

  • lorsqu'une obligation devait être accomplie avant le 12 mars 2020, le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus jusqu'au 24 juin 2020 ;
  • lorsqu'une obligation doit être accomplie dans un délai expirant entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, les astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires sont reportées d'une durée égale au temps écoulé entre d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
  • lorsqu'une obligation, à l'exception du paiement d'une somme d'argent, doit être accomplie dans un délai expirant après le 24 juin 2020 les astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires sont reportées d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.

A titre préliminaire, il convient de souligner que la date de fin de la « période juridiquement protégé » n'a pas été modifiée. Par conséquent, pour le moment, l'état d'urgence sanitaire doit toujours prendre fin le 24 mai 2020.

I. Sur les exclusions du régime de prorogation des délais

Exclusion de nouveaux délais du dispositif de prorogation

L'article 1er de l'ordonnance du 15 avril 2020 ajoute plusieurs exclusions du champ d'application du titre I de l'ordonnance du 25 mars 2020.

De nouveaux délais, mesures et obligations sont donc exclus du mécanisme de prorogation institué par l'article I.1. de l'ordonnance du 25 mars 2020 :

  • les délais concernant les procédures d'inscription dans un établissement d'enseignement ou d'inscription à un examen conduisant à la délivrance d'un diplôme ;
  • les délais dont le respect conditionne l'accès aux corps, cadres d'emploi, emplois ou grades de la fonction publique ainsi que le bénéfice de mutations, détachements, mises à disposition ou autres affectations des agents publics ;
  • les mesures intéressant la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ;
  • les obligations de déclaration à l'Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS) pesant sur les intermédiaires en assurance et réassurance ainsi qu'en opération de banque et services de paiement, sur leurs mandants, sur les entreprises d'assurance auprès desquelles ces intermédiaires ont souscrit un contrat au titre de leur responsabilité civile professionnelle et sur les établissements de crédits ou les sociétés de financement auprès desquels ils ont souscrit une garantie financière afin d'assurer une mise à jour des informations les concernant à destination tant des particuliers que des entreprises d'assurance et des établissements de crédit soucieux de s'assurer de la régularité de la distribution des produits et services proposés;
  • les obligations de déclaration et de notification imposées en application du I et II de l'article L. 233-7 du code de commerce justifiées par la nécessité d'assurer la continuité de la surveillance des marchés, des opérations réalisées par les émetteurs et les acteurs tels que les sociétés de gestion de portefeuille, dépositaires, conseillers en investissements financiers, sociétés civiles de placement immobilier, gestionnaires d'actifs, intermédiaires en opération de banque et services de paiement en période de crise, ainsi que la continuité des systèmes.
  • les délais relatifs à la déclaration établie pour chaque transfert physique de capitaux en provenance ou à destination d'un Etat membre (obligation déclarative de capitaux auprès de l'administration des douanes) ;
  • les délais de demande de restitution de l'enfant recueilli à titre provisoire comme pupilles de l'Etat définis au deuxième alinéa de l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles ;
  • les délais dans lesquels doivent être présentées les demandes d'attribution de logements destinés aux étudiants et gérés par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (163 000 logements étudiants) ;
  • les délais accordés par des procédures d'appels à projets aux personnes souhaitant concourir à la réalisation de politiques publiques et bénéficier à ce titre d'aides publiques.

En matière environnementale, sont exclus du système de prorogation :

  • les déclarations relatives aux produits chimiques et installations y afférentes, prévues aux articles L. 2342-8 à L. 2342-21 du code de la défense ;
  • les demandes d'aides, déclarations et formalités nécessaires pour bénéficier des différents régimes d'aides relevant de la politique agricole commune ;
  • les délais, régis par le code de l'environnement ou le code de la défense, concernant les déclarations d'accident ou d'incident nucléaire ainsi que toute autre procédure de déclaration, d'information ou d'alerte ou acte destiné à assurer la sécurité nucléaire et la protection des installations, des matières et des équipements nucléaires ainsi que celles du transport des substances radioactives et des matières nucléaires.

Ces délais encadrent des obligations de déclaration, notamment d'incident, d'accident, d'événement significatif ou d'anomalie, concernant :

  • les matières nucléaires soumises au régime de la protection et du contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leurs transports ;
    les transports de substances radioactives ;
    ou encore les installations et activités nucléaires intéressant la défense, les installations nucléaires intéressant la dissuasion et les transports des matières nucléaires affectées à celles-ci.

Exclusion rétroactive du système de prorogation des délais de réflexion, de rétractation, de renonciation ainsi que de remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits

L'article 2 de l'ordonnance du 15 avril 2020 complète l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 par l'ajout d'un nouvel alinéa qui a caractère interprétatif et est, dès lors, nécessairement rétroactif.

Il précise que les prorogations permises aux alinéas 1 et 2 de l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ne sont pas applicables « aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits ».

Pour rappel, les délais de réflexions sont les délais avant l'expiration desquels le destinataire d'une offre contractuelle ne peut manifester son acceptation.

Enfin, en matière de remboursement, cette exclusion ne concerne que les sommes d'argents. En effet, les délais pour la restitution d'autres biens sont quant à eux inclus dans le champ d'application du texte et sont donc soumis aux règles de prorogation des délais.

II. Sur la prorogation des délais en cas d'inexécution des contrats en période de crise sanitaire

L'article 4 de l'ordonnance du 15 avril 2020 modifie l'alinéa 2 de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 comme suit :

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.
[Supprimé par l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020] Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme.
[Ajouté par l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020] Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
[Ajouté par l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020] La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.
Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er. »

En premier lieu, lorsqu'une obligation doit être accomplie dans un délai expirant entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, les clauses qui ont pour objet de sanctionner l'inexécution de cette obligation (clause pénale, clause résolutoire et astreintes) sont paralysées. Il est donc laissé au cocontractant défaillant une chance de s'exécuter après la période de crise sanitaire. Cette disposition demeure inchangée.

Alors que l'ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait que les clauses produisent leurs effets un mois après la fin de la période protégée, l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 remplace le report forfaitaire d'un mois par un report « sur mesure » plus complexe mais mieux adapté aux contrats.

Aussi, les effets des clauses sanctionnant l'inexécution sont désormais reportés d'une durée équivalente au temps écoulé entre d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

Le rapport au Président de la République donne l'exemple suivant :

« si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c'est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l'obligation n'est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée. »

En deuxième lieu, l'ordonnance du 15 avril 2020 ajoute un dispositif de report du cours des astreintes et de la prise d'effet des clauses pénales, résolutoires et de déchéance lorsque celles-ci sanctionnent l'inexécution d'une obligation, autre que de somme d'argent, prévue à une date postérieure à la fin de la période juridiquement protégée. Les astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires sont reportées d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.

L'objectif de cette disposition étant de ne pas faire perdre au débiteur le délai qui court pendant la période de crise sanitaire mais qui est impacté par les contraintes du confinement.

Le rapport au Président de la République donne l'exemple suivant :

« Par exemple, si un contrat de travaux antérieur au 12 mars 2020 prévoit la livraison du bâtiment à une date qui échoit après la fin de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant l'éventuelle inexécution de cette obligation ne prendra effet qu'à une date reportée d'une durée égale à la durée de la période juridiquement protégée. »

Le rapport au Président de la République précise que ces dispositions sont supplétives de la volonté des parties et qu'elles « restent libres d'écarter l'application de cet article par des clauses expresses notamment si elles décident de prendre en compte différemment l'impact de la crise sanitaire sur les conditions d'exécution du contrat. »

Notre conseil : La crise sanitaire actuelle ne permet pas automatiquement à un cocontractant défaillant d'invoquer la force majeure pour s'exonérer de sa responsabilité, en particulier s'il s'agit du paiement d'une somme d'argent (voir notre analyse ici). Dans le même temps, les moyens mis à la disposition d'un créancier pour obtenir l'exécution d'un contrat ou une réparation sont restreints. En effet, il ne peut pas faire courir les astreintes ou se prévaloir d'une clause pénale.

Aussi, il est recommandé dans ces circonstances de se rapprocher de son cocontractant et de négocier avec lui les modalités de poursuite du contrat. Les parties peuvent également écarter certaines dispositions légales d'un commun accord.

Emilie Bertaina – Avocate
Alexandra Leurs – Juriste

Cabinet Gossement Avocats